La meilleure table d’Ithaque ne se situe pas les pieds dans l’eau mais en plein cœur du village de Stavros. Πολυφημο (Polyphemus) est un endroit assez unique… qui tient de la chair et de l’esprit. Si vos convictions personnelles s’épanouissent amplement sous des doctrines « libérales débridées », passez votre chemin. Car le premier étage de la bâtisse vénitienne abrite un musée dédié au Che, et un drapeau cubain flotte à l’entrée (la bobine de Lénine est aussi accrochée en bonne place). Vous savez où vous mettez vos sandales…

Si une chef grecque règne sur les cuisines, la propriétaire du lieu est une suissesse polyglotte, haute en couleurs, avec qui nous avons plus d’une fois refait le monde à pas d’heure, en sirotant un excellent mais perfide tsipouro. Les tables sont disposées au cœur d’un grand jardin, décoré d’objets de récup’ retapés et judicieusement agencés, dont les chats ont fait leur terrain de jeu. La carte mélange des mezzés traditionnels, des plats végétariens avec des recettes plus créatives :  la chef usant des épices, aromates, marinades, nos papilles jubilent devant les saveurs et le bouquet des plats, comme cette daurade marinée « psari savoro » dont la recette date de l’occupation italienne « pesce in saor » ou cet agneau en papillote, d’une succulence et d’un fondant jamais égalé. Pour trempouiller dans la salade d’aubergines, testez la pita craquante faite à la minute, qui arrive toute chaude sur votre table, c’est un must. Alors, évidemment, tout cela a un prix, supérieur aux tavernes traditionnelles. Mais il serait vraiment dommage de ne pas goûter au moins une fois à cette cuisine simple en fait, légère et délectable.

Et puis, il y a le cas Kalypso… on va dire que je m’acharne sur le village de Kioni, mais cette table est à l’image du lieu, prétentieuse et fausse. Même si on y dîne très bien. Je crois que c’est la première fois que nous sommes confrontés à un serveur aussi … peu grec. Comme Kioni est le port des voiliers loués par les Anglais (beaucoup de frime, pas beaucoup de voileux qui savent manœuvrer), le serveur vous parle d’office dans la langue de Shakespeare, tapote votre commande sur un PDA (!!!) et insiste lourdement pour vous faire consommer davantage (business is business). Il cajole les tables de Grands-Bretons qui s’empiffrent en vidant leurs pintes, bruyamment. Même si les plats se sont révélés excellents (poulpe parfaitement cuit, la salade de figues rôties, feta et noix ultra fraîche et savoureuse, comme le tirokafteri), nous avons dès le lendemain délaissé le lieu, pour du couleur locale plus accueillant et amical.

Á l’opposé de cette attitude de courtisan servile, à Frikes (décidemment, les villages ont les tavernes qu’ils méritent !), on vous accueille, on vous dorlote, on échange avec vous… et on vous surprend. Chez Penelope (encore une), il faut venir tard, en même temps que les Grecs, pour le meilleur rapport/qualité prix de l’île. Plats locaux, tout simples mais très bons, belle ambiance, chaleur humaine et bonne humeur. Un jour que nous avions manifesté notre enthousiasme pour Anogi, nous avons vu le sourire de Constantina, la femme du patron Stathis, s’épanouir jusqu’aux deux oreilles : native de ce bel endroit, elle posa sur notre table un plat de fromage au thym et la menthe, lové dans une feuille de filo croutillante, avec un sourire entendu : ce fromage de brebis fondant descendait tout droit d’Anogi.

 

Les deux tavernes contiguës à Penelope (Symposium et Rementzo), sont tout autant dignes de combler votre appétit, avec peut-être une préférence pour la dernière, souvent pleine. Nektarion et … Poppy (oui, encore) sont plein d’attention avec leurs clients, prennent le temps de bavarder, d’expliquer les plats, s’excusent parfois de la lenteur du service mais comme tout est fait maison et savoureux, on attend en souriant que les copieuses assiettes arrivent sur la table, arrosées d’un second « lefko krasi », offert par la maison.