Après le goulet d’étrangement qui ceinture l’île comme un corset bien sanglé, deux routes permettent de relier Stavros selon votre humeur du jour. Soit vous restez au niveau de la mer, Céphalonie bien visible à main gauche, sur une corniche qui sinue parmi une dense végétation verte et touffue, soit, vous prenez de la hauteur en partant à droite, en suivant une saillie de la roche qui vous monte sur les flancs du mont Neritos, culminant à 806 m. Cette route est bien plus attachante, même si elle vire souvent sec. Domaine des quadrupèdes à poils, plus ou moins longs, et à laine, il est recommandé de ne pas dépasser le 30 à l’heure, pour éviter de freiner comme un sauvage devant des biquettes qui traversent nonchalamment devant votre pare-chocs. Elles sont chez elles et leur regards hautains, voire dédaigneux vous le font vite sentir. Le paysage s’assèche, les oliviers et les pistachiers se raréfient, on circule dans une quasi garrigue brossée par les vents, constellée de pierres imposantes qui émergent des broussailles.

Le premier arrêt, à 600 mètres, sera pour le Monastère de la Panagia ton Katharon, lieu de pèlerinage des habitants de l’île. La vue sur Vathi est époustouflante, mais attention au souffle d’Éole, redoutable, qui vous empoigne sans ménagement. Un moine venu du Mont Athos s’est établi dans le monastère, en grands travaux pour le moment, mais il est toujours possible de visiter l’église, qui protège l’icône sacrée de la Nativité de la Vierge, attribuée à Saint Luc ainsi que l’hôtellerie, qui nous a laissés comme deux ronds de flan. Le long bâtiment blanc, décrépi et vétuste repose en l’état. Les cellules à l’abandon, qui accueillaient les pèlerins, sont encore encombrées de lits et de couvertures, le tout poudré d’un bon centimètre de poussière, de toiles d’araignées épaisses, qui ne datent pas d’hier. On parcourt ce corps de logis dans le silence, le vent sifflant à travers les vitres brisées et les portes disloquées. Ambiance singulière…Mais c’est aussi dans ce Monastère qu’on redoute visiblement de voir s’envoler les cloches…le Moine, qui ne manque visiblement pas d’humour, ouvre t-il la cage à Pâques, au moins ?

Si vous êtes gourmand des belles découvertes, il faut reprendre la route jusqu’à Anogi, village médiéval tranquille, où les belles maisons de pierre se sont endormies depuis des années. La petite centaine d’habitants, âgés pour la plupart, parlerait encore un dialecte fortement influencé par la présence dans l’île des Italiens ; le campanile vénitien se dresse d’ailleurs à côté de l’église de la Dormition de la Vierge, bâtie au XIIème siècle. Et si vous arrivez à une heure orthodoxe, allez chercher la clef au café d’à coté : boom, vous allez en prendre plein les yeux. Au XVIIème siècle, tous les murs furent recouverts de fresques byzantines, par un artiste de l’école de Vraggiana Agrafa, qui perpétuait alors cette tradition. Restaurées après le tremblement de terre de 1953, les peintures murales alignent La Vierge et les Martyrs, les Saints et les Anges, Sainte Hélène et Constantin, dans une débauche de couleurs. On s’agite d’un bout à l’autre de l’église, on tourne, on s’approche, on veut tout voir, on s’émerveille et on s’y attarde sans voir le temps courir.

Ce qui est étonnant, c’est qu’Anogi est davantage réputé pour ses énormes rochers qui se dressent autour du village, dans un sol désolé et stérile, certains dotés même d’un petit nom, – Psilolithari, Irakles – que pour son église. Ce n’est pas la première fois que nous soupçonnerons les Ithaquiens, un peu taquins, de se faire discrets sur les trésors cachés de leur île, et qu’il faudra quelquefois mouiller le tee-shirt pour tomber nez à nez avec des splendeurs. Un post suivant le confirmera.