Orlando Furioso, 1727
Antonio Vivaldi

Enregistré au Théâtre des Champs-Elysées en 2011 / DVD 2011

 

 

Ce dramma per musica a donné lieu à une longue controverse  et à un débat nourri avec mon ami doux : comment peut-il bouillonner d’enthousiasme pour un spectacle aussi long, aussi lugubre, orné d’une partition que je qualifierai de « surabondante » et d’un livret tellement barbant ? Je ne sais pas s’il m’est donné de mettre autant ennuyée durant un spectacle, et ce malgré un orchestre fabuleux et des chanteurs, presque tous, remarquables. Le visionnage à deux reprises (dans la douleur et les ronchonnades) du DVD n’a pas opéré de miracle, Orlando Furioso est un opéra qui me laisse sur le bas-côté, malgré toute ma bonne volonté.

C’est dans un but précis que Vivaldi compose ce second Orlando, quatorze ans après un premier opéra sur ce même sujet (Orlando Furioso, 1713), – à ne pas confondre avec Orlando finto pazzo, autre opéra de Vivaldi présenté en 1714 : reconquérir la scène vénitienne, alors que les opéras napolitains et les castrats captivent la Sérénissime.  Pour résister aux œuvres de Porpora et de Vinci, Vivaldi revient aux sources du théâtre vénitien. Si plus personne ne lit l’Arioste aujourd’hui, considérables étaient à l’époque sa popularité et son influence sur les arts. Durant trois siècles, cette épopée chevaleresque et sentimentale de 40 000 vers, va inspirer un nombre impressionnant d’œuvres musicales (250 !)  chez Lully, Charpentier, Scarlatti,  Haendel (Ariodante, Orlando et Alcina,  excusez du peu….), Haydn, Gluck, Rossini…

Vivaldi refuse le recours aux castrats très en vogue (Farinelli arrivera à Venise en 1728), leurs cachets exorbitants et leurs caprices de divas, et confit le rôle titre masculin d’Orlando à une contralto, dans une distribution qui met au premier plan des voix de femmes. Et pour mener cette lutte de genre contre l’opéra napolitain, Vivaldi choisit de parler aux Vénitiens de leur ville et de leur vie, faite d’intrigues, de manipulations, de ruses, de mystifications, de déguisements et de faux-semblants. Mais aujourd’hui, comment captiver l’auditoire avec une histoire alambiquée, qui se déroule sur une île enchantée, où l’on croise une magicienne (Alcina), une princesse (Angelica), un paladin (Orlando),  un chevalier maure (Ruggiero), une amazone (Bradamente), un modeste soldat (Medoro), les cendres de Merlin, le temple d’Hécate, un philtre d’amour et un anneau merveilleux… on attendait du spectacle, de la féérie, de l’exubérance, bref, du baroque, pour occuper un peu l’espace pendant que badine tout ce beau monde. Parce que, les histoires de cœur de ces personnages, on s’en fiche un peu : 3h15 de marivaudage, entre la coquette, le pragmatique, la manipulatrice, le jaloux, la fidèle, le cœur pur… mais que c’est assommant !

La mise en scène aurait pu nous donner des moments de tension, souligner les effets dramatiques, donner de la profondeur au texte, le rendre lisible pour des spectateurs du XXIème siècle, mais sa pauvreté neutralise tous les éléments fantastiques. Visuellement, on ne peut pas faire plus sinistre. Tout est noir, gris, dépouillé, dans un pseudo salon vénitien éclairé par un gigantesque lustre de Murano, meublé de  chaises à dossiers creux (?) et d’une table, qui servira d’esquif, de lit d’amour, de grotte…on fait à l’économie, tant pis si le baroque y laisse son âme. Les costumes sont aussi charbonneusement monochromes, et on occupe l’espace à grand renfort de robes moirées qui tournoient sous des lumières très étudiées. Ne cherchez aucune subtilité dans la direction scénique des chanteurs ; tous les déplacements sont artificiels, réglés au cordeau pour faire joli ou esthétisant, dans des effets très lourds.

On passe l’acte III devant un mur de briques tout aussi funèbre, où tous les personnages ont l’œil passé au kohl baveux, le cheveu agité et le costume en lambeau, rejoignant Orlando dans son délire, agité d’une danse de Saint Guy bien trop appuyée. Les personnages se heurteraient-ils à la prison de leurs vrais sentiments, murés dans les mensonges et leurs illusions… d’accord, j’arrête de persifler… prochain post, orchestre et voix.