L’organisation d’un premier voyage en Crète peut rapidement virer à l’essorage du cervelet devant la dimension de la terre promise. Où poser son sac, quels coins privilégier, comment restreindre les longs déplacements en voiture… et vite comprendre qu’on ne pourra pas prendre l’île à bras le corps, qu’il faudra se contenter de morceaux choisis à défaut de l’œuvre complet.

La première halte sur le chemin fût donc pour la Messara, plein Sud un poil vers l’Ouest : la région additionne les bons points, avec Gortyne, Phaistos, Agia Triada pour les amateurs de vieilles pierres, de vastes plages de sable (Kalamaki, Kommos), des villages pas trop rancis, de bonnes tables, et la montagne toute proche s’il vous prend des envies de fraicheur, de monastères et de chapelles retirées. Nous avions élu Kamilari comme camp de base… après usage, je prêcherais plutôt pour Sivas, village plus harmonieux, à l’architecture vénitienne plus préservée et qui propose aussi la meilleure table du coin, Sactouris, ignorée du Routard.

Je ne vous conseille pas vraiment notre point de chute, Asterousia où nous ne serions pas restés si je n’avais commis la bévue de régler l’addition de Paris. Impossible de réserver moins d’une semaine à moins de payer un supplément (alors que certains studios resteront vides), ambiance plus germanique que grecque (rédhibitoire en ce qui me concerne), pas l’ombre d’un coup de balai dans la piaule ou de serviettes changées en 6 jours, et gros travail de sape du proprio qui ironise lourdement sur notre prochaine étape Kato Zakros (« mais qu’allez-vous faire là-bas, y’a rien ! »), désireux d’encaisser une semaine de location supplémentaire. Quand nous découvrirons ce paradis qu’est la pointe extrême orientale, une soudaine envie de lui claquer rétrospectivement le museau me démangera sérieusement.

Et il y a le cas Matala, ancien village de pêcheurs quasi inévitable, qui a un peu, beaucoup, vendu son âme… témoin pourtant de la petite comme de la grande histoire, d’abord point de chute de Zeus lorsqu’il revint en Crète après avoir enlevé Europe, puis ancien port de Phaistos pour les Minoens, de Gortyne à l’époque romaine, mais aussi escale des hippies sur la route de Katmandou. Il ne reste plus grand’ chose d’authentique dans cet endroit, dont on entretient la légende fanée avec de faux vestiges et quelques nouveaux « décroissants » qui habitent les grottes des falaises à la place de Joni Mitchell, Bob Dylan et Cat Stevens. Cependant, il faut bien reconnaître que le soir et le calme revenus, lorsque les à-pics, qui bordent le croissant de plage s’allument, la baie de Matala retrouve un peu de sa séduction et on perçoit le charme qu’elle pouvait distiller alors.

  

Nous avons été plus sensibles au cachet de Zaros, village de montagne blotti au pied du mont Psiloritis, au Nord de Mires, et à la gentillesse de ses habitants diamétralement opposée à l’humeur ronchonnante des attrape-nigauds de Matala.

De Zaros, filez à Vorizia, et descendez ensuite, sur la gauche, en suivant la direction de Valsamonero (μονη βαλσαμονερου), puis d’Agios Fanourios (Αγιος Φανουριος) : si vous êtes en veine, cette toute petite église, insignifiante de l’extérieur, ne vous opposera pas porte close et vous laissera bouche ouverte. Agios Fanourios appartenait autrefois à l’un des plus éminents monastères de Crète, vaste ensemble de bâtiments, foyer d’érudition, reconnu pour sa bibliothèque et son école religieuse. De ce monastère Valsamonero, bâti au XIVe, ne reste que cette église, dont la première des trois nefs, vouée à la Vierge, date de 1332. La nef Sud, dédiée à Αγιος Ιοαννις, est ajoutée en 1428 et dix ans plus tard, une nef latérale, consacrée à Αγιος Φανουριος complètera le bâtiment. Les murs sont totalement recouverts de fresques magnifiques, et très bien conservées, issues de cette école crétoise qui prospère sous l’occupation vénitienne : même si l’on reste un peu sur notre faim de ne trouver aucune monographie disponible sur le lieu, on suit sans trop de difficultés les grandes scènes bibliques qui se déroulent sous nos yeux émerveillés.