La boucle que nous avons effectuée vers la partie Ouest de Lesbos requiert une vraie grosse journée bien chargée, à condition de faire l’impasse sur l’étape baignade ; sinon, prévoir une halte nocturne à Sigri ou Skala Eressou.

Départ à la fraîche du port de Molyvos, arrêt pour un deuxième, voire troisième café à Pétra (il est toujours pour nous impossible de nous lancer sur les routes sans ce petit rebond caféiné, nécessaire pour s’extirper de dessous la glycine, sans trop de flemme) et direction Vatoussa, puis Antissa, villages traditionnels* de l’intérieur des terres. Le paysage change doucement, il se déshydrate, les arbres haut-perchés disparaissent au profit des broussailles, des arbustes, d’un maquis de plantes odorantes qui libèrent toute leur puissance olfactive sous la chaleur. Le vert foncé et les tapis de fleurs jaune pétant, font place à l’ocre, au vert amande, à des teintes décolorées par le soleil. Cette région de Lesbos, volcanique, pierreuse, âpre, abrite des villages séculaires au pied des « montagnes » : mêmes maisons aux tuiles rouges, même silence, même placette lovée sous les platanes, mêmes ruelles qui grimpent, mêmes mamies taiseuses, mêmes tavernes d’un autre âge, une Grèce prodigieusement éloignée des Santorins frelatés et consorts…

Á Antissa, on peut partir sur la droite vers Gavvathas, une des rares plages de l’île digne de ce nom. Mais nous préférons visiter le monastère d’Ypsilou, et prendre un peu de temps dans les collines rocheuses pour admirer le paysage rocailleux, qui me rappelle un peu la pointe Est de la Crète. C’est après le monastère que l’on accède à la Forêt pétrifiée, vaste étendue rêche et pelées qui aurait abrité, il y a vingt millions d’années, une forêt subtropicale. Ce patrimoine géologique rare est issu de l’intense activité volcanique de la région ; les éruptions de l’époque ont provoqué d’énormes quantités de lave et de cendres. Les troncs d’arbres pétrifiés, fossilisés, en très bon état, abondent sur un site vaste, en pente douce où il fait bon se promener. Certes, ces souches d’un autre temps sont étonnantes mais elles se ressemblent malgré tout toutes un peu. Et l’on finit par davantage apprécier la balade pour la sérénité de l’endroit, la vue magnifique, le calme et l’odeur de dictame, que pour les troncs fossilisés.

 

Surtout qu’on en retrouve tout du long de la route qui mène au port de Sigri, à l’extrème pointe Ouest, petit port tranquille, parfait pour une pause déjeuner. Comme à Molyvos et Mytilène, présence d’un kastro, qui s’écroule un peu faute de moyens pour le restaurer. Nous croiserons un ancien hammam ottoman (le frère jumeau de celui de Tinos), qui, lui aussi, périclite doucement, sans que personne ne semble vouloir en prendre soin. 

La route descend ensuite vers Eressos, puis Skala Eressou. On retrouve à Eressos les caractéristiques des villages de l’intérieur entourés de collines rocailleuses (maisons de pierre, tuiles rouges…) avant de prendre une bonne bouffée d’embruns dans ce qui serait la ville natale de Sappho. La présence de la poétesse y est fort discrète (quelques statues, toutes plus affreuses les unes que les autres), et la station balnéaire, en mai, tourne au ralenti. Mais la plage est l’une des plus belles de l’île, longue et large, malmenée par une mer tonique et turbulente, qui nous change des eaux apathiques des deux golfes. Les tavernes et les cafés colorés du front de mer alignent des balcons de bois au dessus des eaux, épousant la baie entre deux petits caps.

Nul besoin d’être une fille qui préfère les filles pour se sentir bien à Skala Eressou ; le lieu dégage de bonnes ondes, une ambiance conviviale, cool et amicale. On s’affale sur des coussins en sirotant un bon cocktail sans voir le temps passer et l’on est tout surpris de voir déjà le soleil se coucher. En remontant vers Molyvos, on se dit qu’il faudrait revenir vers cet Ouest, car nous avons fait l’impasse sur d’autres monastères, d’autres villages, d’autres lieux certainement moins évidents, qui demandent plus d’attention, de fouille et de quête, que cette première prise de contact avec Lesbos. Le sourire béat de ma moitié en dit long ; si demain nous partons vers le Sud, nous reviendrons inévitablement ici arpenter d’autres chemins.

* Plusieurs villages importants de Lesbos portent les noms des enfants du roi Macarée, un Pélasgien (donc, un Grec d’avant, un préhellénique), comme Méthymne, Mytilène, Antissa ou Eressos.