Thessalonique 5ème jour – Ce qu’il reste des bâtiments ottomans

Contrairement à Paris, immobile et pétrifiée de révérence devant son histoire, Thessalonique avance en intégrant les témoignages du passé, s’enrichissant de l’art de vivre de chaque époque ; ville d’énergie, ville de transformation, de métamorphose (volontaire ou nécessaire, comme après l’incendie de 1917), c’est sans doute avec les bâtiments de l’époque ottomane que cette capacité d’appropriation est la plus flagrante : les habitants de la ville s’emparent des constructions anciennes et les adaptent à leur quotidien, en les détournant parfois de leur utilisation première qui n’a plus lieu d’être. Bref, ça vit toujours, ça n’est pas près de s’arrêter et c’est très bien comme cela.

Le marché Bézésteni

Déjà croisé dans le post précédant, le marché aux tissus de la rue Venizélou n’a lui pas changé d’activité depuis le xve siècle – les marchands continuent d’y vendre des coupons, des articles de mercerie, sous les six coupoles bien nettoyées. Á l’époque, la soie, la passementerie, les ornements de luxe emplissaient les échoppes devenues plus modestes de nos jours, mais je trouve assez émouvant que les Grecs prennent toujours soin de ce lieu très ancien et y perpétuent le même commerce six siècles plus tard.

Les mosquées

La mosquée Alaça Imaret

Tout à côté d’Agios Dimitrios, derrière la rue Cassandrou, la mosquée Alaça Imaret est le seul et unique bâtiment ottoman dans lequel nous avons pu entrer, avec le marché aux tissus. On la désigne souvent par le nom du Grand Vizir et gouverneur de Thessalonique, Issak Pacha, qui a ordonné sa construction en 1484. Cette mosquée n’était pas seulement un lieu de culte, mais aussi un lieu de rencontre et d’étude voué à l’accueil des indigents ; de chaque côté de sa vaste salle de prière rectangulaire surmontée de deux énormes coupoles, deux pièces latérales moins imposantes abritaient, pour l’une, une école religieuse, et pour l’autre, la distribution de repas pour les plus pauvres et les voyageurs. L’entrée dans la mosquée se fait sous un portique à cinq coupoles, à droite duquel s’élevait le minaret, détruit comme tous les autres de la ville dans les années [19]20. Cette mosquée, devenue aujourd’hui lieu d’exposition, est massive à l’extérieur mais étrangement aérienne à l’intérieur. D’abord, parce que l’immense salle de prière semble aspirée, étirée vers le haut, sous des coupoles encadrées de peintures et d’ornementations délicates. Ensuite, parce que les peintures murales sont légères, simple décor floral et versets du Coran calligraphiés.

La mosquée Hamza Bey

Sur Égnatia, on distingue une coupole imposante, cernée d’échafaudages et de barrières. Se cache ici la plus grande et la plus ancienne mosquée de Thessalonique, beaucoup moins bien conservée que la précédente, en restauration depuis 2006. Les habitants la désignent d’ailleurs plus volontiers sous le nom d’Alkazar, enseigne du cinéma installé finalement dans ses murs… Oui, la destinée de la mosquée n’eut en effet rien d’un long fleuve tranquille et connut moult rebondissements.

D’abord, toute petite salle de prière du vendredi construite par la fille de l’amiral Hamza Bey en 1467, l’humble lieu de culte devient un bâtiment beaucoup plus imposant dans la seconde moitié du xvie, en raison de l’augmentation du nombre de musulmans dans la ville. Elle comporte alors une grande salle carrée avec coupole (attestée en 1550), à laquelle s’ajoutent ensuite deux nouvelles salles rectangulaires et un minaret. Puis, l’histoire s’embrume : en 1592 ou en 1619, conséquence d’un incendie ou d’un tremblement de terre…, une seule certitude, la mosquée dût en tout cas être réparée ou reconstruite à partir de 1619. C’est à ce moment qu’elle s’agrandit encore, dotée d’un grand patio entouré de galeries, où sont réutilisés des chapiteaux d’origine romaine et byzantine Bref, un beau bazar !

Thessalonique revenue aux Grecs, la mosquée cesse d’être un lieu de culte ; abîmée de nouveau en 1917 lors du grand incendie, son minaret est démoli en 1925. Elle sert d’abord d’abri aux réfugiés d’Asie mineure lors de l’échange de population entre la Grèce et la Turquie, puis abrite ensuite des commerces. Le patio est enfin couvert d’un toit pour accueillir un cinéma, l’Alkazar, avant de finir carrément dans la projection de films « pour adultes »… L’endroit, abandonné, est repris en 2006 par la ville pour en assurer la restauration.

Les bains

Le hammam Bey

Au croisement d’Égnatia et d’Aristotélous, nouvelle déconvenue devant les portes closes du plus grand et plus vieux complexe de bains ottomans, construit en 1444 (donc, très rapidement après la prise de Thessalonique en 1430). Le lieu, qui a fermé en 1968, n’a jamais changé d’activité, ce qui explique sa parfaite conservation extérieure et intérieure.

Ces bains comportent deux parties, et donc des entrées bien distinctes, l’une pour les femmes et l’autre pour les hommes, ces derniers bénéficiant de la plus vaste et de la plus luxueuse des deux installations… Si l’on trouve de chaque côté la même succession de salles (de la plus froide à la plus chaude), la richesse de l’agencement est très différent. Les bains pour les hommes comprennent deux grandes pièces octogonales à coupoles richement décorées, (la pièce froide possède une galerie en hauteur soutenue par des colonnes), qui précédent un ensemble de petites pièces chaudes posées aux intersections d’une salle cruciforme ; table de massage, bassins, petits bancs de repos, le marbre est omniprésent sous des arches ouvragées. Restaurés après le séisme de 1978, ces bains servent aujourd’hui pour des événements culturels et de lieu d’exposition

DR

 

Le hammam Yahudi

Découvert en s’éloignant du marché Modiano, au croisement de Komninon et de Vasileos Irakliou, ce hammam de pierres et de briques du xvie est connu entre sous le nom de Yahudi, car construit à l’époque en plein quartier juif (il apparaît dans les textes turcs sous d’autres noms, comme le hammam du bazar, le hammam des femmes ou le hammam d’Hagil Aga). Le plan est le même que le hammam Bey, avec une succession de salles selon la température de l’eau. Au bâtiment est adossé le réservoir et le foyer pour chauffer l’eau.

C’est aussi un bain mixte, mais toujours en deux parties bien marquées selon les sexes. Là encore, les hommes disposaient de l’espace le plus vaste, le plus richement décoré (peintures murales, motifs en relief, stuc et marbre…).

Le hammam Aigli Yeni

Enfin, tout à côté d’Agios Dimitrios, au croisement de Kassandrou et d’Agiou Nikolaou, un autre hammam daté, lui, du xvie et conçu comme ses prédécesseurs, connaît une utilisation contemporaine toute différente et n’a de fait pas conservé sa forme originelle. Après la fin de l’occupation ottomane en 1912, le complexe de bains ferme ses portes et en 1937, il est racheté par un particulier. D’abord utilisé comme dépôt de marchandises, il est transformé en salle de cinéma, le « Aigli ». Le cinéma, qui utilisait les deux salles désormais communicantes sous les grandes coupoles – ce qui devait être les deux anciennes pièces froides –, cesse de fonctionner en 1978. Les salles du hammam non utilisées par l’Aigli ont alors été détruites, ouvrant ainsi un espace pour un nouveau cinéma en plein air. L’ancienne salle sous les coupoles abrite désormais un café/resto/salle de concert branché, très fréquenté par les jeunes de Thessalonique.

 

 

3 Comments

  1. Reply
    Thierry Derrien

    « Métamorphose volontaire ou nécessaire (comme après le grand incendie de 1917) »… ou le tremblement de terre de 1978. Ici en France, nous n’avons pas conscience qu’une aussi grande ville ait pu avoir à souffrir aussi fréquemment et dans un passé aussi proche. Merci pour cette série passionnante et avisée sur Thessaloniki.

    J’aimerais en parler avec vous. Pourriez-vous me contacter sur mon mail? (Nous nous sommes déjà rencontrés)

  2. Reply
    TORNEY Fabienne

    « Thessalonique avance en intégrant les témoignages du passé, s’enrichissant de l’art de vivre de chaque époque  » : connaissez vous le passé juif de Thessalonique : jusqu’à 80% de la population ; on appelait Salonique « la petite Jérusalem » et on y parlait majoritairement le judéo espagnol … Aujourd’hui ce passé est éradiqué et il n’y a aucune trace . L’héllénisation comporte aussi de belles amnésies et ceux qui recherchent ici ( et ne trouvent pas ) les traces de leurs ancêtres séfarades en sont pour lers frais . Le cimetière ? détruit pour y construire l’Université . Le Musée juif ? Il est à l’initiative et financé par une organisation juive . Thessalonique est amnésique . Regardez l’émission sur Arte qui parle du passé juif , un grec y parle de « refoulement » au sens psychiatrique …
    https://www.youtube.com/results?search_query=juifs+de+thessalonique
    Même si on aime la Grèce il faut être lucide sur leur nationalisme bien ancré , comme celui des Turcs d’ailleurs qui eux aussi se sont débarrassés de tous ceux qui n’étaient pas turcs .

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