L’île la plus mythique de la mer Égée fut ma porte d’entrée pour les Cyclades il y a une décennie. Comme tous ceux qui ont posé leurs pieds sur son sol, je fus éblouie, émerveillée, fascinée par sa splendeur. Je grinçais déjà un peu les molaires devant une exploitation touristique que je trouvais excessive, mais la magie était là, je cessais de maugréer dès que les gros navires de croisière levaient l’ancre et que le calme revenait à la tombée du jour. Même le coucher du soleil se faisait alors dans la sérénité, en cette mi-juin 2003.


Aujourd’hui, l’île ouvre bien grand les bras au Yuan et au Rouble, se gave d’un déferlement de touristes irraisonné, s’engraisse de revenus douteux et accepte des comportements triviaux. Nul besoin d’un volcan pour anéantir de nouveau Santorin, l’appât du gain s’en est chargé. Une marée humaine grouillante, une masse compacte, une cohue débordante, un flux ininterrompu de visiteurs a pris possession des lieux, qui suffoquent sous l’envahissement. Que ce soit à 10 heures du matin ou à 23 heures, les ruelles de Fira et d’Oia sont engorgées de visiteurs débarqués par cars entiers, d’agences russes et chinoises. Entendre parler grec à Santorin devient une curiosité. Je sais que tout un chacun est en droit de venir admirer la beauté du site, mais Santorin n’est pas taillée pour amortir cette soudaine surdensité humaine au mètre carré. D’autant – j’assume le propos -, que ces nouveaux visiteurs ne surgissent pas forcément pour de bonnes raisons. Santorin est devenue the place to be, l’île où l’on vient se montrer, s’exposer, s’exhiber, se photographier, se marier. Son histoire, son mythe, ses sites archéologiques ne les intéressent en rien (sur le magnifique site d’Akrotiri, nous n’avons croisé que des Européens…). Conséquences de cette arrivée massive, une flambée des prix, des chambres prises d’assaut, une prolifération de boutiques de luxe, des eaux de baignade pas toujours très propres, des restaurateurs peu scrupuleux*, des vendeurs agressifs et l’inobservance des règles d’hospitalité, pourtant inhérentes à la Grèce.

Volontairement, je ne conseillerai aucune adresse à Santorin**. Parce que Santorin n’est pas la Grèce, comme Venise n’est pas l’Italie. Ce sont des enclaves à part, des territoires désormais vendus au seul rendement financier, où des comportements de requins mettent en péril la préservation d’un patrimoine exceptionnel et l’équilibre d’un écosystème fragile***. Comme Venise se cache parfois sous ses eaux pour ne plus voir les paquebots géants esquinter sa lagune, Santorin pourrait bien un jour en avoir assez de porter sur son dos sa couche de béton toujours plus vaste : le dernier séisme date de 1956…


  

 

* Éviter à tout prix le Café Classico, à Fira, en guise d’ouzo, un alcool frelaté.

** A contrario, je tiens à souligner l’extrême gentillesse de notre logeuse et de sa fille, qui tiennent cinq petites chambres toutes simples, dans une ruelle qui descend en contrebas de la cathédrale orthodoxe : Rooms Sofi.

*** Santorin ne possède aucune réserve d’eau, on désalinise à tour de bras. Gestion des eaux usées ?