Certains visiteurs posent le pied à Santorin avec la même émotion qu’ils ressentiraient à fouler le sol lunaire : l’île n’en est pas une, elle est une mémoire géologique, un marque-temps, un site issu des entrailles de la terre en colère, multiforme, instable et éphémère*. Plusieurs volcans sous-marins ont fait et défait Santorin, dans une succession ininterrompue d’éruptions ; à chacune d’elles, les volcans s’effondrèrent avant de se réédifier de nouveau, créant à chaque explosion une gigantesque dépression centrale, un cratère, une caldeira ; aujourd’hui, les parois de la caldeira, à demi-immergée, surgissent à 385 mètres au-dessus de la mer, et plongent d’autant sous l’eau. Santorin a plusieurs fois changé de visage, suivant les caprices et les ardeurs de ses volcans : d’un seul tenant, en plusieurs morceaux, ronde ou en croissant, agrémentée d’îlots, de cônes volcaniques brièvement surgis des eaux avant de replonger, elle reste turbulente, traversée de secousses et d’activités sismiques sous-marines.

En 1630 av J.-C.**, le grand cataclysme a lieu ; l’éruption dantesque, biblique, envoie des panaches de scories à 35 km au-dessus de l’île, arrose la Méditerranée de cendres, engendre raz-de-marée et catastrophe climatique. On a longtemps lié le déclin de la civilisation minoenne à cette éruption apocalyptique. Une plus fine datation du désastre met à mal ce raccourci bien séduisant et l’éloigne de deux cent ans de la destruction et l’abandon des palais crétois, estimés vers 1450 av J.-C.

Cette effroyable éruption détruisit toute vie sur Santorin mais permit aussi de nous léguer un témoignage exceptionnel de la vie sur l’île, à l’âge du bronze : une ville entière, prospère, organisée, hiérarchisée, dotée d’infrastructures de haut niveau, dormait sous 15 mètres de cendres. On ignore son nom, on la désigne par celui du village voisin actuel. Même si le site n’a rien à voir avec Pompei, malgré ce que l’on peut lire, le site d’Akrotiri est particulièrement émouvant. Les archéologues n’ont retrouvé aucun corps ni aucun objet de valeur, ce qui laisse présager plusieurs séismes annonciateurs de la catastrophe, qui firent fuir les habitants vers des abris de fortune.  Sur les 20 000 mètres ² estimés de la cité, construite sur une petite plaine du Sud abritée des vents et dotée de deux ports naturels, seule la moitié a été fouillée. Le site révèle un ensemble de bâtiments pour certains dotés encore de leurs étages, des ruelles dallées, des places publiques, des édifices religieux, administratifs, des demeures particulières cubiques, un système d’évacuation des eaux usées, des magasins, des jarres et des poteries. Les hauts bâtiments aux façades en pierre de taille sont appelés xestes (taillés) et rappellent par leur volume, le nombre de leurs pièces, les bassins de purification, les agencements internes des chambres et leurs peintures murales, les palais crétois.

Akrotiri soulève d’ailleurs plus de questions qu’il ne donne de réponses, quant à ses relations avec la civilisation minoenne : on ignore si la ville était habitée par des colons crétois ou bien si les habitants ont adopté, par imitation culturelle, certaines des habitudes des Minoens, artistiques, religieuses et administratives. Les chercheurs s’accordent tous sur une profonde influence crétoise et avancent la possibilité de familles puissantes, qui auraient pu servir les intérêts crétois dans un avant-poste cycladique***. Les peintures murales qui ornaient certaines chambres ont bien évidemment été déposées pour des soucis de conservation et sont visibles au musée de Fira. On est époustouflé par l’élégance de ces peintures, leur finesse, leur délicatesse : corps sveltes et racés, chevelures travaillées, costumes féminins audacieux mais aussi par une représentation étonnante de la nature. Lys, papyrus, antilopes, singes bleus, hirondelles, tout vibre, respire, bouge en liberté. Rien de figé, de normalisé dans ces peintures aux couleurs vives, riches de mille détails, inventives et expressives. Il serait vraiment dommage de faire l’impasse sur le site et le musée car ces fresques en disent long sur le tempérament, le caractère des habitants d’Akrotiri, sur leur quotidien, leur goût pour les arts, la beauté et leur cadre de vie.
 

*Rappelons que certains voient en Santorin, la mythique Atlantide de Platon (après tout, les bretons ont bien leur Kêr-Ys, qu’on veut voir au large de Douarnenez ou dans la baie des Trépassés, selon les chapelles)

** Á peu près…

*** Pour en savoir plus : Art et Religion à Théra, Nanno Marinatos, Éditions Souanis (traduction française un peu fantaisiste).