Les filles de ma génération (nées entre 1970 et 1980) suivaient dans leur lecture une immuable progression : Caroline et Martine, Fantômette, Le Club des Cinq et Alice. Impossible d’y couper, aussi inévitable que nos sous-pulls acryliques et les couleurs flashy de nos pantalons en velours côtelé ! Les photos de classe sont, à ce sujet, accablantes…

Martine fête cette année ses soixante printemps et le Musée en Herbe** propose une petite exposition pour les enfants (et pour ceux qui le sont restés) autour des albums. Beaucoup de petites filles accompagnées de leurs mamans (plus émotionnées que leur progéniture d’ailleurs pour cette parenthèse un brin nostalgique) déambulent dans les deux salles consacrées à l’héroïne belge. La première ravira les grands, puisqu’elle salue le travail des deux créateurs, l’illustrateur Marcel Marlier et le scénariste Gilbert Delahaye. Les dessins préparatoires aux albums sont les pièces maitresses de cette salle : Marcel Marlier dessinait plus de 600 esquisses par album pour ne garder que 18 dessins définitifs. Ces dessins au crayon levé sont presque plus vivants que leur version finale, écrasée par les aplats de couleurs.

  

 

Dans la seconde salle, les albums sont présentés par thématique (Martine apprend, Martine et le sport, Martine et le voyage.) autour d’objets issus de l’univers un peu daté de la petite fille : paire de skis des années 50, bureau d’écolier, machine à laver à l’ancienne… les enfants sont invités dans une sorte de jeu de piste interactif avec un quizz, des puzzles, pour s’approprier une époque qui doit leur apparaître bien archaïque.

On suit ainsi, au long des dessins qui parsèment les murs, l’évolution de Martine à travers sa coupe de cheveux, ses vêtements, ses activités, mais aussi celle de toute une société qui n’a plus rien à voir avec celle de 1954. Même le style des dessins a bien changé entre le premier album Martine à la ferme et l’ultime Martine et le prince mystérieux, en 2010 : moins vif, moins « école belge », au profit d’un univers « évoquant la peinture romantique allemande », dixit l’éditeur Casterman. L’univers s’est peu à peu affadi, s’est « aquarellisé » à outrance et c’est bien regrettable.

  

J’ai cherché un peu perfidement dans les dessins accrochés les fameuses petites culottes blanches que Marlier dessinait sans arrière-pensées, à un moment où toutes les gamines portaient de très courtes robes. Il a fallu attendre notre époque qui voit le mal partout pour rendre pervers ce qui était parfaitement innocent, et qui ne choquait ni les jeunes lectrices ni leurs parents. Le regard des pères-la-vertu est devenu bien vicieux… Alors Marlier rallonge les robes de Martine et ses cheveux par la même occasion (hé oui, Tomboy avant l’heure avec ses cheveux courts, à ses débuts, notre Martine !), et aseptise un univers qui n’a plus rien de réaliste.

Je reprochais d’ailleurs à Martine sa perfection, sa sagesse, son dévouement, son bon caractère, ses dons innombrables et son goût aberrant pour les tâches ménagères : nous nous sommes définitivement quittés avec la parution de Martine, petit rat de l’Opéra, les bornes étant pour moi dépassées. Je n’ai jamais compris l’engouement de certaines de mes camarades de l’école primaire pour les tutus roses et les pointes, les chignons et les rubans, tout ce qui me les faisait ranger dans la catégorie définitive des « pimbêches chichiteuses », alors que je trouvais formidable de jouer au foot, de rouler à fond sur mon vélo et d’escalader les arbres ; ça c’était le programme d’un mercredi réussi ! Alors j’ai délaissé Martine pour Caroline, l’autre héroïne beaucoup moins lisse, moins nunuche, affublée d’une salopette rouge, de couettes blondes et d’une bande d’animaux très dissipés dont deux impayables chats. Caroline est, elle aussi, sexagénaire : dommage qu’aucun musée ne s’en soit aperçu.

* I ♥ Martine …je cherche toujours le pourquoi du choix d’un titre pareil….

**Le Musée en Herbe
21, rue Herold
75001 Paris

Jusqu’au 02 mars 2014