Aphrodite y aurait vu le jour, Hugo, Nerval, Baudelaire et Verlaine l’ont chantée, Watteau l’a peinte… et pourtant, si l’île fait partie de notre imaginaire collectif, elle est très injustement méconnue. Quatre pauvres pages dans le Routard, pas de guide en français, elle reste le petit caillou isolé tout seul au Sud du Péloponnèse, le galet posé à la croisée des trois mers, Égée, Ionienne et Crétoise. Rattachée administrativement à l’Attique, elle fait pourtant partie de l’Heptanèse – les sept îles ioniennes. Bref, on ne sait pas trop quoi faire de ce bout de terre ignoré. Et c’est tant mieux ! À l’écart des lignes de ferry, mal desservie, l’île se rallie obligatoirement par avion si vous venez d’Athènes (et le billet n’est pas bon marché). Par conséquent, Cythère (Τα Κύθηρα) ne subit aucune pression touristique, préserve son mode de vie rural et sobre, ne vend pas ses terrains aux promoteurs avides et ne construit aucun complexe de béton. L’été, les Grecs exilés en Australie reviennent sur leur terre, s’installent dans leurs maisons de famille, louent les villas et les studios, font vivre les commerces et les tavernes, contribuant largement au développement des infrastructures de l’île.

Nul besoin donc de défigurer Cythère avec des charters venus du Nord. Les locaux ont gardé le sens de l’hospitalité, un rythme de vie posé, des goûts simples. Excepté les mois d’été, 4000 habitants seulement vivent à Cythère ; agriculture, pêche, petits élevages, apiculture, rien d’autre. Pas de grands musées, de sites archéologiques notables, de temples, mais les vestiges fanés de l’époque byzantine puis vénitienne.

Alors, pourquoi faire escale à Cythère ? Parce qu’elle est un peu « désorientée », avec un petit goût de beurre salé assez inattendu. Ces côtes découpées, ses brusques changements de climat, la réserve de ses habitants, m’ont parfois rappelé le Finistère. En plein de mois de mai, nous n’avons pas échappé à la pluie, au vent déchaîné, au brouillard qui vient noyer les collines, avec en prime une jolie tempête assez mémorable. Mais nous avons aussi goûté à une nature ripolinée de fleurs jaunes, aux plages encore tranquilles, aux chapelles perchées sur des pics improbables et à ces ruines de cités aujourd’hui silencieuses que j’affectionne tant. Elle est une des rares îles à ne pas porter l’empreinte du joug ottoman – elle restera possession vénitienne durant cinq siècles, mais subira d’importants pillages de pirates.

Á la première rencontre, l’île paraît pierreuse, sèche, très déboisée pourtant elle cache dans de profondes gorges des chutes d’eau, des cascades, mais aussi des forêts de hauts pins et d’eucalyptus. Il faut prendre son temps pour découvrir Cythère, dont la beauté ne resplendit pas immédiatement aux yeux des voyageurs. Mais en suivant les petites routes, en écarquillant bien les yeux, en adoptant le pas lent des îliens, on découvre de vrais trésors dans des villages paisibles, des criques perdues au bout d’une piste,  des églises tapies au creux d’un vallon, et des paysages sauvages noyés de brume, comme un bout de Magne qui aurait glissé sur les flots.

Un guide toutefois précieux, réalisé avec le soutien financier des associations d’Australiens émigrés : In search of Kythera, Venturing to the island of Aphrodite, par Tzeli Hadjidimitriou