Athènes est bien souvent pour les visiteurs une porte d’entrée vers les îles où l’on s’attarde peu ; on y passe une nuit avant d’embarquer dans les ferries du matin, on visite l’Acropole au pas de charge avant l’avion du retour. Le périmètre rassurant déborde rarement du delta Syndagma, Monastiraki, Plaka, où le novice pose doucement ses marques. Et puis au fil des voyages, des passages, on ose sortir à pas feutrés du secteur balisé pour faire connaissance avec la ville, lever le regard, écouter, respirer, ressentir le juste tempo…

On peut par exemple s’éloigner de la si commerçante, si fréquentée et si standardisée rue Ermou (boutiques de fringues en enfilade, où s’affichent les logos des marques que l’on retrouve dans toutes les grandes villes d’Europe), en tournant à angle droit sur Athinas (οδος Αθηνας), la station Monastiraki dans le dos. Étonnant comme en trois cents mètres, on peut changer d’atmosphère ! Ici, pas de baskets ou de jeans tendance, mais un joyeux capharnaüm, des façades un peu fanées, du bruit, du trafic, de la vie, et des magasins de jardinage, de bricolage, des brocantes un peu toc, de vastes antres où s’entassent de la vaisselle, des fripes, de la déco vintage, de grands bazars poussiéreux. Sur les trottoirs, on slalome entre les bétonneuses, les gros bidons de lait et les cages à oiseaux. Nous, on adore !

Surtout que, bien avant d’arriver place Omonia, Athinas vous mène au ventre d’Athènes, aux Halles. Il ne faut pas avoir la narine sensible dans les rangées consacrées à la viande : l’odeur de barbaque, laissée à l’air libre, sature l’atmosphère et vous poisse le museau à vous secouer l’estomac ; les bouchers s’égosillent, ça bêle, ça brame, ça meugle, ça découpe, ça scie, ça tranche prestissimo ! Du côté des étals des poissonniers, j’en connais un qui salivait devant le banc des encornets, sèches, calmars, pieuvres, poulpes… et des petits poissons bien rangés.

De l’autre côté de la rue, les marchands de fruits et légumes jouent avec les couleurs des végétaux, alignent leurs produits au cordeau, sourient, vous interpellent, communiquent leur bonne humeur,  l’éventaire des fromagers laisse perplexe (mais combien de sortes de feta existe-t-il ?), les fruits secs et les épices adoucissent l’air de leurs senteurs douces et moelleuses. C’est un spectacle pour les yeux, les oreilles et le nez, qui peut vous ouvrir ou vous couper l’appétit, selon le sens parcouru.

Arrivé à Omonia, on peut bifurquer en biais sur la droite, en remontant Themistokleous (Οδός Θεμιστοκλέους) pour déambuler dans Exarchia (Εξάρχεια). Quartier rebelle et frondeur, contestataire, repère de ceux qui pensent un peu différemment et le font savoir – par conséquent aussi, lieu d’affrontements vifs avec les policiers -, Exarchia a su garder son caractère et ses particularités. Contrairement au Ve arrondissement de Paris, nul embourgeoisement ni reniement des idéaux, le coin reste le refuge des démerdars et d’une certaine forme de bohème (à des années-lumière de la « bobo attitude » parisienne). De vrais gens y vivent, s’organisent, affrontent les séquelles des plans de rigueur successifs, s’autogèrent, occupent les espaces, cultivent des jardins visiblement partagés. Nulle grisaille, neurasthénie ou prostration à Exarchia, la couleur, les œuvres d’artistes, les îlots de verdure, les murs peints, les banderoles racontent l’histoire et les combats du quartier. Alors, oui, il y a aussi comme une odeur « d’herbe » qui flotte parfois et d’autres substances ne seraient pas très difficiles à se procurer ici. Mais en plein jour, ce sont les petits cafés, les restos un peu branchés, les magasins de livres et de disques, les ruelles qui grimpent sec, les cours intérieures, la végétation un peu folle, qui donnent à ce petit espace un charme incontestable.

 

En parlant de livres, pour ceux qui cherchent des librairies pointues, c’est à la sortie du métro Panépistimio (ligne rouge) que vous trouverez votre eldorado. Le carré des rues Solonos, Asklipiou, Akadimias foisonne de librairies (l’université est tout à côté), grouille d’étudiants et de leurs professeurs. On ne soulignera jamais assez la gentillesse et la disponibilité des Athéniens : un professeur de mathématiques, rencontré par hasard parce qu’il nous avait entendu parler français, nous servira de guide et de traducteur dans le dédale des librairies, à la recherche d’un livre sur le Théâtre d’Ombres. Il nous consacrera une bonne demi-heure, interrogeant pour nous le responsable, nous conseillant, échangeant avec nous sans une faute de grammaire (cinq langues à son actif !), alors que son fils l’attendait patiemment. Quand on sait comment les touristes sont considérés chez nous et le niveau pitoyable d’anglais qui est le nôtre…

Si votre temps est trop serré pour cette balade, dépasser Monastiraki et allez flâner dans Psiri (Ψυρή), vieux quartier des artisans. De jour, les devantures débordent de marchandises, on découvre de vieilles boutiques de cuivre, des ateliers anciens, des antiquaires, des temples de la mercerie ou de la plomberie ; c’est un peu désuet parfois mais les habitants détournent aussi les objets d’une manière toute personnelle… le soir et tard dans la nuit, les bars et les restos à la mode s’ouvrent sur une ambiance on ne peut plus festive !