Le Nord de Corfou, plus élevé, plus escarpé, plus contrasté, compose la partie qui devrait être la plus fascinante de l’île. Ben oui mais ça, c’était avant ! Avant que les cages à touristes ne sortent de terre, avant que les figuiers, les oliviers ne disparaissent sous les pelleteuses, avant que les sous-œuvres des architectes inaptes ne gangrènent un littoral de carte postale.

Il n’y a que Peroulades que je sortirais du lot, village en fin de vie au bout du quel les falaises dominent en à-pic : la roche blanche, striée de nervures plus sombres, couronnée d’arbustes verts, surplombe un mince trait de plage ocre, balayé par une mer aux mille nuances de vert et de bleu. Nous y sommes allés en fin de journée venteuse qui interdisait la baignade et le site, vide de toute présence humaine, était vraiment magnifique. Un seul café restaurant est installé là-haut, doté d’un promontoire qui permet d’embrasser le panorama à couper le souffle. Pourvu que se maintienne ce respect, totalement inattendu au vu des ravages rencontrés, d’un des derniers coins de nature intact.

Je n’en dirai certes pas autant de Sidari, exemple accablant de dégradation sans limites. Sidari est une baie, avec plages de sable et eaux limpides, dont il ne reste aucun mètre carré non construit : béton, baraquements bien vilains, piscines, sono, bar, pintes au litre, matchs du championnat anglais retransmis à fond, tout ce bazar au rabais va, de plus, très mal vieillir. Ce chancre ultra-touristique vient souiller une suite de petites falaises blondes érodées, sculptées, découpées, qui semblent s’avancer sur le turquoise de la mer, comme des bras. Elles dessinent des petites criques protégées où il ferait bon paresser en silence. Impossible, car les hôtels ont envahi jusque très loin les saillies rocheuses et déversent leurs décibels. J’ai un peu de mal à comprendre alors le plaisir que l’on peut prendre à s’imbriquer comme des sardines, et ce dès le mois de mai, dans un espace défiguré. Mais visiblement, les tours operator britanniques font le plein !

Autre haut lieu malmené par le ballet incessant des cars de tourisme, Paléokastritsa, doubles arêtes rocheuses qui dessinent trois baies, cannelées de plages et de criques, aux eaux bleues et vertes de toute beauté. Oui mais, le charme s’évapore devant les marchands du temple qui ruinent l’ambiance : on aurait pu construire de jolies infrastructures pour garder le cachet du lieu, éloigner le parking des bus, garder à distance les boutiques et les restos, protéger un écosystème que l’on devine fragile, non, rentabilité maximum à moindre coût, retour rapide sur investissement à court terme, une mise à sac. Paléokastritsa serait le lieu de résidence du roi Alkinoos, qui recueillit Ulysse et lui fournit un navire pour rejoindre Ithaque. Un parmi d’autres, puisque comme souvent, les fouilles archéologiques n’ont rien donné de probant. La vue, du haut du monastère de la Panagia Théotokos, construit au bout de la plus importante des presqu’îles, est fabuleuse… le monastère en lui-même n’a pas grand intérêt, historique ou culturel, c’est une halte agréable de quelques instants au calme, dans un petit jardin peuplé de chats qui se prélassent sous les rosiers, avant de replonger dans le tumulte.

Si vous reliez ensuite Angélokastro, arrêtez-vous à Lakones (vous ne serez pas les seuls…) : La vision du paysage et des deux écueils de pierre, s’avançant dans cette eau aux teintes sublimes, vaut le détour : Paléokastritsa est bien plus beau, vu d’en haut ! La forteresse d’Angélokastro est un poste de garde du XIIIème siècle, le plus à l’ouest du Despotat d’Épire (un des successeurs de l’empire byzantin affaibli et découpé, sur le territoire qui englobait l’actuelle Albanie et Corfou), qui s’élève sur un rocher, 160 mètres au dessus de la mer. Elle est trapue, courte sur patte, construite comme une vigie qui protégeait l’île des incursions pirates ou turques.

Évidemment, panorama impressionnant… par beau temps…