Yòrgos Skambardònis – Contes d’hier et d’aujourd’hui

 

Le Maître couteau (Textes puisés dans six recueils)

Textes de Yòrgos Skambardònis

Traduction : Hélène Zervas et Michel Volkovitch

Éditions Le Miel des anges, 2018

 

J’ai refermé ce Maître couteau, épatée ! Alors que les nouvellistes grecs me donnent souvent du fil à retordre pour entrer dans leur univers et me demandent un effort soutenu de concentration, Yòrgos Skambardònis concocte des histoires très accessibles, fluides et passionnantes.

Quel est donc le secret de l’écrivain de Thessalonique pour concilier une évidente qualité littéraire avec des textes étonnamment et immédiatement limpides ? La clef se trouve dans le second paragraphe de la postface ; Yòrgos Skambardònis n’écrit pas seulement des romans et des nouvelles, il est aussi journaliste et scénariste. Or, le champ des possibles n’est plus le même lorsque l’on maîtrise un style «cinématographique » très visuel, qui s’autorise la fiction détachée du  « je » autobiographique ; les souvenirs personnels, les ancrages temporels ou géographiques appuyés font place ici à des petits scénarios très bien ficelés, qui pourraient se passer en Grèce du Nord ou ailleurs.

Le réel brut ne semble pas passionner l’auteur, qui préfère déformer, décentrer et recréer un faux réalisme pour faire naître des images poétiques et inattendues. Yòrgos Skambardònis ne souhaite pas raconter le quotidien, il joue sur le décalage et l’artifice pour faire jaillir le bizarre, l’imprévu, le prodigieux. Il peut alors connecter les vivants et les disparus, donner vie aux objets, faire tourner la roue implacable du destin et révéler les aspirations profondes de ses héros. Yòrgos Skambardònis choisit d’éclairer ses personnages de biais, pour révéler, par un ou deux détails signifiants, leurs eaux profondes ; un vieux transistor hors d’âge, un cran d’arrêt, un crayon, un clou doré, une carpe apprivoisée, une barbe à papa, en disent bien davantage sur l’individu qui les possède que de longs paragraphes verbeux. Ces gros plans, presque surréalistes, mettent au jour des secrets, des peurs enfouies, des douleurs bien cachées, et exposent soudain une vérité qui confère de l’épaisseur à ces nouvelles.

L’exercice est périlleux mais Yòrgos Skambardònis se tient en équilibre parfait entre deux genres, le drame vécu par des gens ordinaires (la solitude, la maladie, le temps qui passe, la mort) et une étrangeté poétique, un entre-deux brumeux. D’autant plus que cette Grèce du Nord est noyée de pluie, baignée de brouillard et que ses printemps peuvent être glaçants. On se dit que certains des textes auraient enchanté un Marcel Carné ou un Duvivier…

Puisque Yòrgos Skambardònis semble ne montrer aucun goût pour l’épanchement, les confidences, le réalisme, l’enracinement profond, en quoi est-il pleinement un auteur grec ? La nostalgie qui baigne tout le recueil en filigrane, le passé si présent, le rejet du monde moderne qui a balayé les traditions, sont autant de marqueurs de ce ressouvenir douloureux que l’on retrouve sous la plume de nombreux Grecs ; les villages qui s’éteignent, les églises trop neuves et sans âme, les coutumes oubliées, les magasins de tabac surannés, les vieux joueurs de gàïda qui ne dessoûlent pas, sont autant de plaies qui suintent doucement, au loin, en arrière-plan. Alors certes, Yòrgos Skambardònis tente bien de masquer cette mélancolie foncière sous l’humour, le sarcasme, le grinçant. Mais elle colle aux pages, comme l’empreinte indélébile d’un auteur de Thessalonique, bien plus arrimé à sa terre d’origine qu’il ne veut bien le montrer.

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