Séries 2018

Mais comment TF1 ose-t-elle programmer une aussi pitoyable adaptation du roman La Vérité sur l’affaire Harry Quebert ? Les chaînes françaises persistent à proposer des séries insipides, vides et mal tournées, ignorant visiblement que Netflix et OCS ont élevé le format à des hauteurs vertigineuses. Encore un exemple, s’il le fallait, que l’abonnement à ces deux chaînes n’est en rien superfétatoire.

Alors, puisque nous sommes en décembre, il est temps de faire le bilan des séries qui ont marqué l’année 2018, en commençant par les deux qui nous avaient laissés médusés l’année passée.

La nouvelle saison de Westworld a mis tout le monde d’accord, voguant toujours très au-dessus de la mêlée ; plus intelligente encore, plus surprenante, plus complexe que la saison 1, plus sombre aussi puisque quelques éléments nous sont donnés sur le but ultime de ces faux parcs d’attraction pour riches citoyens : l’analyse comportementale, la collecte et le transfert de données, en vue d’un monde dominé par des puissants devenus immortels. Voilà à quoi ressemblerait la société entre les mains des GAFA… éminemment anxiogène !

Un peu de déception avec La Servante écarlate saison 2… du relâchement dans le scénario, des longueurs, des scènes de violence gratuite, difficiles à supporter, et surtout une esthétique poussée à l’extrême qui prend le pas sur le fond. Heureusement qu’il nous reste le casting. La suite est attendue pour 2020.

Mon top 3 en 2018

Alors, oui, la Casa de Papel nous a tous rendus enthousiastes et accro’s. L’histoire rocambolesque de ces braqueurs rebelles qui commettent le casse du siècle sans voler qui que ce soit, était un point de départ original et intrigant. Mais trop d’invraisemblances et de digressions sur des affaires de cœur sans intérêts la font sortir du podium final.

 

En troisième position, Peaky Blinders, série anglaise qui relate les péripéties d’un gang familial dans le Birmingham de l’entre-deux-guerres. Le clan Shelby règne sur la ville, enrichi grâce aux paris hippiques truqués et au racket, avec à sa tête un jeune truand, survivant traumatisé de la Grande Guerre. Les gangsters, tirés à quatre épingles dans leurs longs manteaux, comme des héros de western dans leurs cache-poussières, détonnent dans les bas-fonds crasseux et ultra-violents de la cité industrielle. Les rivalités entre malfrats, le trafic d’armes, la difficile ascension des Shelby, d’origine gitane, dans l’échelle sociale se  déroulent sur une toile de fond historique solide – on y croise d’ailleurs un jeune ministre de la guerre, Winston Churchill…

Si la destinée des Shelby percute la naissance de l’IRA ou l’arrivée de la mafia italo-américaine en Europe, elle est inséparable de la dure réalité ouvrière, des grandes grèves, de l’entrée des femmes dans les syndicats ; Peaky Blinders, qui brosse un tableau réaliste de l’Angleterre des années 1920, possède ainsi une véritable épaisseur et bénéficie en plus d’une mise en scène, non seulement soignée, mais surtout dépoussiérée. Comme Sergio Leone le faisait avec New York (décidément !), Birmingham est recréé avec élégance et énergie. Les images sont éblouissantes, à la fois dures et flamboyantes, et la bande-son décalée donne à la série une tonalité très moderne (Nick Cave, quelle idée formidable !). Le casting s’est enrichi au fil des saisons de guest-stars, comme Adrien Brody ou Aidan Gillen (Little Finger dans Game of Thrones), venus combattre ou épauler le clan Shelby, porté par le charismatique Cillian Murphy – le bleu de ses yeux, on en parle ?

 

En seconde position, une sublime et émouvante série « fantastique »,The Haunting of Hill House. Les guillemets s’imposent quand le spectateur est dans l’incapacité de savoir si les évènements surnaturels qui se déroulent sur vingt-six ans sont l’œuvre d’une demeure maléfique ou l’expression d’un dérèglement mental de ses habitants.

Un couple et leurs cinq enfants s’installent le temps d’un été dans un vieux manoir un peu défraîchi afin de lui rendre sa splendeur d’autrefois et de le revendre avec une belle plus-value. Le projet tourne court quand les enfants et leur père quittent à la hâte les lieux après la mort soudaine de la mère. La famille se disloque, s’éparpille, se tait, survivant à peine sous le poids de questions sans réponses, de secrets, de regrets. La cicatrice mal soignée finit par se rouvrir le jour où la cadette retourne au manoir et s’y pend. Ce qui reste de la famille n’a plus d’autre choix que d’affronter ses deux tragédies, de faire définitivement le deuil de leurs terreurs d’enfants et de leurs névroses d’adultes.

The Haunting of Hill House est une incontestable réussite, car la série sait mélanger les codes de la maison hantée (véritable organisme vivant qui dévore l’équilibre psychique de ses habitants, les tue, et les piège pour l’éternité, à l’état de spectres) avec une réflexion sur le mécanisme d’acceptation de la mort. Les enfants, devenus adultes, ont chacun construit un processus de défense pour affronter les fantômes familiaux et les fantômes tout court qui leur collent aux basques. La dureté et l’isolement, l’addiction, le contrôle absolu, la rationalisation constante qui permettent aux cinq adultes de se tenir plus ou moins debout, trouvent-ils leur cause dans les influences maléfiques de la maison ou dans le traumatisme originel que l’on a mis sous le tapis ? L’ambigüité est assumée et les scénaristes jouent sans cesse avec les deux niveaux d’explication. La série fait des allers-retours permanents entre deux temporalités, étoffant le présent de chaque personnage avec son passé et son rapport au manoir. Le père et le fils ainé semblent totalement imperméables à l’angoisse qui suinte de chaque pierre, tandis que les plus jeunes et leur mère absorbent comme des éponges les vibrations néfastes. Cette extrême émotivité fait-elle d’eux des proies faciles pour l’énigmatique et vaste maison, ou bien les mène-t-elle tout simplement à la dépression, la folie, le suicide ?

L’atmosphère terrifiante du manoir, les phénomènes inexpliqués qui perturbent la structure même de la maison, mettent le spectateur dans un état de malaise et de tension permanente. Les souffrances des personnages, leur incapacité au bonheur, leur combat pour affronter leurs démons, l’emmène plutôt vers la compassion et la mansuétude. Le mélange des genres, parfaitement équilibré, fait de cette série une rareté : la vision ultime du manoir qui s’endort à jamais, reste comme l’image de l’apaisement et de la réconciliation, quelles que soient les épreuves endurées.

 

Enfin, tout en haut du podium, Sharp Objects, série américaine sortie sans bruit durant l’été sur OCS, dérangeante et prodigieuse. Une jeune journaliste, Camille Preaker, qui biberonne de la vodka dès son petit-déjeuner, retourne dans sa ville natale au fin fond du Missouri, pour enquêter sur le meurtre et la disparition de deux jeunes filles. Sa région natale traîne une vieille sympathie pour la Confédération et reste attachée à sa fête annuelle qui glorifie son passé esclavagiste. Cette société rurale, figée, anachronique et refermée sur elle-même, engendre sous son vernis policé et ses silences butés des monstres de perversité. La journaliste est née dans une de ces vieilles et riches demeures tarabiscotées, nids de secrets de famille hideux, que la communauté entière se garde bien de dénoncer.

L’enquête journalistique n’est donc qu’un prétexte à une plongée dans les eaux troubles des névroses, dans un passé collant que l’on se coltine sans parvenir à s’en débarrasser. Les années d’adolescence de Camille, la mort (déjà) douteuse de sa jeune sœur, donnent des indices sur l’atmosphère délétère et l’angoisse qui règnent derrière des portes bien fermées. Le corps détruit par des années de scarification, Camille a dû fuir la maison familiale pour sauver ce qui lui restait de peau saine. Le retour dans le repaire de frelons fait office de catharsis, pour enfin se libérer de ses adictions et couper le lien qui la lie à une famille de maniaques diaboliques.

La série interroge le lien mère-fille, les ravages causés par des génitrices abusives, étouffantes et psychopathes, les mensonges et les non-dits se révélant plus insupportables que les douleurs physiques que s’inflige Camille. Les filles de la famille se repassent sur trois générations leur prédisposition à la manipulation, la destruction, comme si on ne pouvait sortir du cycle infernal qu’en contaminant la génération suivante. Dans un épais silence, car dans ces petites villes corsetées et bien-pensantes, les femmes ne peuvent être que des mères exemplaires, occupées par leur famille, les cercles de lecture et les fêtes de charité.

Sharp objects, réalisée par le canadien Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.YDallas Buyers Club, Wild…) est filmée comme un long métrage qui prendrait son temps ; les cadrages, les lumières, la musique sont minutieusement utilisés pour faire de la série une référence dans l’analyse de la face sombre de la psyché humaine. Arpenter cet angoissant méandre, si maîtrisé qu’il en est irrespirable, est une expérience dont forcément on ne sort pas indemne. Surtout lorsque les dix dernières secondes de l’ultime épisode, aussi violentes qu’inattendues, viennent bouleverser nos dernières illusions sur la guérison des traumatismes que l’on traîne depuis l’enfance…

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