Vivian Maier – La vérité du miroir

 

Exposition Vivian Maier

Musée du Luxembourg

Jusqu’au 16 janvier 2022

Catalogue soigné qui recèle un article inspiré et très pertinent de la Commissaire de l’exposition, Anne Morin.

 

Le Journal d’une inconnue ; voilà qui pourrait être le sous-titre de cette exposition réussie, lisible, cohérente, qui éclaire l’œuvre d’une photographe jamais exposée de son vivant. Et pour cause, l’histoire, hautement romanesque, largement commentée, tient au fil ténu du hasard, ou comme on voudra, du destin. En 2007, un jeune agent immobilier, John Maloof est à la recherche de visuels pour illustrer son livre consacré à un quartier de Chicago. Il acquiert lors d’une vente, pour défaut de paiement d’un box de stockage, une partie des cartons d’une parfaite inconnue, bourrés de photos et surtout de pellicules non développées. Deux ans plus tard, il tombe sur le nom de la propriétaire, inscrit sur une enveloppe au fond d’un des cartons. Celle-ci vient de décéder sans héritiers et s’appelle Vivian Maier ; l’enquête de Maloof peut alors commencer. Il rachète les autres caisses dispersées lors de la dite vente, rencontre les gens qui l’ont connue, tire les innombrables négatifs, et commence à trier les photos dont il perçoit rapidement l’unicité. La photographe mystérieuse, garde d’enfants de son état, a accumulé de façon un peu compulsive et obsessionnelle près de 140 000 images et films, restés ainsi dormants. L’engouement est immédiat ; expositions, documentaires, rétrospectives, on s’arrache les photos de la nounou-artiste, même si les grands musées font la fine bouche, refusant de constituer un fonds Maier, arguant qu’un « tirage qui n’a pas été validé du vivant de l’artiste n’a pas de valeur ».

Les photos connues de Vivian Maier sont bien le résultat des choix de John Maloof, soit, de sa propre sensibilité. Même s’il travaille avec la meilleure volonté et honnêteté du monde pour cette reconnaissance posthume, on ignore comment la photographe elle-même aurait géré ses planches-contacts, car elle n’a en effet laissé aucune instruction.

Ensuite s’ajoute la légende Maier, qui entend faire d’elle une simple amatrice très douée, ce qui est loin d’être exact. On sait qu’elle a beaucoup voyagé (c’est une franco-américaine qui déjà maîtrise deux langues), qu’elle fréquente assidûment, – à New York puis à Chicago, villes dans lesquelles elle a successivement résidé et travaillé –, les musées et les cinémas, et qu’elle lit suffisamment la presse pour connaître les grands photographes de l’époque dont le mouvement de la Street Photography, auquel on la rattache aujourd’hui. En contact à vingt-cinq ans avec des photographes de métier, munie d’un boîtier professionnel, un Rolleiflex, elle veut se lancer sérieusement en proposant ses services comme portraitiste et en tentant de vendre quelques photos sous format de cartes postales (voir l’interview de Françoise Morin, galeriste, ici). Ce qui n’a visiblement pas bien fonctionné.

Ces deux bémols posés, les images de Vivan Maier ne méritent pas moins qu’on s’y attarde, surtout pour ce qu’elles disent d’elle en creux. Si la photographe est reconnue pour ses scènes de rue et ses portraits pris sur le vif, on remarque pourtant un côté figé, presque posé puisque le sujet prend toute la place à partir du milieu du cadre ; le mouvement, le décalage, la vie ne sont volontairement pas captés par l’objectif. Pire même, si Vivan Maier choisit d’arpenter les quartiers pauvres de New York et de Chicago, à la rencontre des oubliés du “rêve américain”, on ne ressent pas forcément une compassion marquée pour les plus humbles qu’elle photographie froidement.

Ses clichés d’enfants les montrent brut de décoffrage, barbouillés de crasse, pleurnichant, les mollets barrés d’une tache de naissance, avec des chaussures éculées.

Pas de mise en scène dans ces photos, pas de recherche d’esthétisme, de joliesse, mais une distance, une rigueur, voire une rigidité, un témoignage de la dureté des rapports humains, comme si elle établissait un recensement clinique des laissés-pour-compte. Avec un œil implacable, elle pointe le pantalon informe ou troué, le manteau loqueteux, les corps trop larges, les visages dédaigneux, les trognes marquées par la misère, le travail exténuant et la vieillesse, les mains tâchées et ridées. Pas de quartier pour Vivian Maier. Ce qui en dit certainement long sur cette femme dont on ne sait en fin de compte pas grand’chose, assez solitaire, et qui finira légèrement déséquilibrée.

Elle semble d’ailleurs aimer les jeux de dissimulation, les bavardages déformés des miroirs, les ombres projetées. Ses auto-portraits sont sans doute les pièces les plus intrigantes, en majorité pris dans le reflet de glaces, de vitrines, de carreaux : représentations fragmentées, démultipliées, plurielles, mises en abîme d’une photographe qui brise sa propre image pour se mieux cacher derrière un visage inexpressif, un peu androgyne parfois. La photo ne sert pas tant à témoigner du réel qu’à dissimuler qui l’on est, sous les illusions d’un miroitement infini. Ou dans une ombre projetée de soi, obligatoirement infidèle, qui mange la photo en imposant une silhouette immense. C’est par un côté biaisé, indirect que la photographe dit ainsi sa vérité, son identité : le miroir, l’ombre, réfléchissent aussi à leur tour, en révélant l’invisible.

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