Portraits de la jeune fille fantasmée…

 

Exposition : Héroïnes romantiques

Musée de la Vie romantique – 16, rue Chaptal Paris IXè

Commissaires : Gaëlle Rio et Élodie Kuhn

Jusqu’au 4 septembre 2022

 

Ô paradoxe d’une exposition qui met en évidence l’exact opposé de ce qu’elle souhaitait montrer… à moins que les commissaires ne se gaussent en sourdine devant une évidence qu’il était temps de mettre en lumière. Dans cette (courte) exposition, le romantisme littéraire, curieusement, semble se déliter sous la perspective des peintres du XIXesiècle, pour tomber dans une vision affadie et dévoyée. De l’héroïne téméraire qui se meurt d’aimer dans l’excès de sentiments ne reste, sous les pinceaux (masculins…), qu’une pâle figure victimaire et dépoitraillée, en pleine agonie. C’est immanquablement ce qui saute aux yeux devant ces peintures qui déclinent la même silhouette : qu’il s’agisse d’Atala, d’Ophélie, de Desdémone, d’Héloïse, de Juliette ou de Marguerite, toutes d’apparaître en robe transparente et froissée, pâmées, cambrées, expirant un dernier souffle, qu’on ne sait si éthéré ou d’extase. L’héroïne romantique n’a de fait plus rien d’une héroïne.

L’exposition s’articule en trois temps autour d’abord des figures historiques, puis des personnages de littérature, et enfin des représentations de ces héroïnes au travers des arts de la scène. On croise ainsi dans la première partie Sappho, Marie Stuart, Antigone, Cléopâtre ou Jeanne d’Arc. Toutes ont en commun d’être des femmes fortes, engagées, ayant fait preuve de bravoure, de détermination, à l’égal des hommes. De ce rôle d’émancipatrice, de leader politique ou de chef de guerre, ne demeure que des instantanés de leurs condamnations ou de leurs derniers instants. Aux antipodes des défis qu’elles ont su relever, les peintres les représentent capitulant, vaincues ou déjà mortes. Le comble est atteint avec une Cléopâtre signée Jean Gigoux, entièrement nue et pulpeuse, la peau diaphane, le cheveux long, dans les convulsions d’un empoisonnement qui a tout d’une volupté extasiée.

On se dit que l’on va rencontrer moins de condescendance revendiquée avec les personnages de roman ou de théâtre traversés par des passions dramatiques et désespérées. Hugo, Chateaubriand, Shakespeare, Madame de Staël, George Sand n’ont pas donné dans l’héroïne falote ou évanescente. Cependant, l’archétype semble bien intégré, la vision des femmes bien arrêtée, on ne peint que de pâles et inoffensives jeunes demoiselles, éteintes de préférence, ou sur le point de rendre l’âme, mais toujours de blanc vêtues, les seins bien en évidence. Certes, si l’on trépasse beaucoup sous la plume des écrivains romantiques (mais pas que…), les héroïnes suivent d’abord avec audace et acceptation la voie que leur dicte l’amour fou. Elles sont partie prenante de leurs épreuves, transgressent les interdits, les codes et la morale, affrontent leur clan et la vindicte, en allant au bout de cette frénésie de sentiments. En attendant, les Delacroix, les Burthe, les Girodet et consorts confondent sensibilité exacerbée avec sensiblerie.

La dernière partie se penche sur les représentations de ces mêmes personnages, au théâtre et à l’opéra. Les héroïnes romantiques passent la rampe et prennent vie grâce à la voix de la Malibran, le jeu de Rachel et les pointes de Marie Taglioni et de Fanny Elsser. Après les peintres, les compositeurs et les chorégraphes s’approprient ces silhouettes fines et blanches, jusqu’à pousser le modèle vers la danseuse à tutu vaporeux et le ballet romantique, d’où émerge au final le personnage de la Sylphide, légendaire créature aérienne et délicate. Cela devient lassant… Sauf que, lorsqu’une artiste de sexe féminin s’attaque à Jeanne d’Arc ou à Christine de Suède, le résultat est tout autre : la première, sculptée par Marie d’Orléans, est debout, revêtue de son armure, et la suivante, – sculpture de Félicie de Fauveau – campée au milieu d’hommes, montre une attitude de souveraine rendant justice.

L’exposition, en voulant rendre hommage à l’héroïne romantique, dénonce de fait la distorsion qui s’opère sous le regard masculin : idéalisée, vulnérable et désincarnée, elle n’est ni une partenaire, encore moins une égale, juste une victime d’elle-même qu’il faut guider et protéger, en aucun cas un individu libre et indépendant. Sous réserve d’en payer le prix fort, la mort annoncée. Même si ce trépas est aussi prétexte à érotiser les jeunes filles au corps parfait, que les vieux libidineux peuvent guigner sans rougir. Plus qu’un archétype, c’est aussi une mise en garde qui s’étale sur les murs : « à vos risques et périls ».

On pourra regretter que les commissaires n’aient pas, en contrepoids, donné plus de place aux femmes de lettres moins dociles, à celles qui se sont battues au mitan du XIXe siècle pour l’instruction des jeunes filles, l’égalité des droits, dont le droit de vote, à celles qui créent les premiers journaux féministes, aux premières « routardes » qui voyagent de l’Orient aux États-Unis, à tous ces fers de lance d’un combat pour l’émancipation, hélas toujours d’actualité.

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