Une pensée pour toi, Élo…

Les villages qui abritent le débarcadère des ferrys ont souvent tout de l’embarquement pour la déception. Ce sont en majorité des endroits « modernes » fabriqués, un peu trop neufs, sans caractère, rayés en front de mer par un alignement d’hôtels, de bars et de tavernes. On a alors hâte de monter vers le Chora ou le Kastro historique, bien à l’abri des pirates et des envahisseurs de tout poil. Paros* s’inscrit en antithèse et affiche ses legs du passé à hauteur de quai, dans son chef-lieu de Parikia.

Comme toutes les îles grecques après l’hégémonie romaine, Paros a subi/s’est enrichie des influences successives de ses « visiteurs ». Selon la durée de leurs « séjours » et leurs intentions, certains se sont juste essuyé les pieds dessus, quand d’autres bâtissaient, transformaient et marquaient profondément l’île de leur empreinte. Les byzantins ont édifié l’une des églises les plus anciennes de Grèce, massive, puissante, qui en impose toujours aujourd’hui. L’église, appelée Katapoliani (Á côté de la ville) ou Ekatontapyliani (Aux cent portes), ces deux dénominations étant utilisées parallèlement dès le milieu du XVIe, acquiert très rapidement prestige et influence.  De nombreux habitants de l’île, devenus des fidèles de ce nouveau lieu de culte, s’installent dans le quartier voisin ; on les appelle des παροικι (« qui appartiennent à la même communauté »). Le mot est resté jusqu’à désigner l’ensemble du village, Parikia.

Comme à l’accoutumée, un édifice de cette importance ne sort pas de terre ex-nihilo car il faut montrer que la nouvelle religion a triomphé de l’ancienne : l’église Katapoliani a été édifiée au IVème siècle, sur l’emplacement de deux constructions successives pré-chrétiennes,  un temple antique, et un gymnase de l’époque romaine. Ce premier édifice modeste**, endommagé par un incendie, fut reconstruit sous Justinien, deux siècles plus tard, agrandi, agrémenté de voûtes et d’une coupole. Les chapiteaux et pilastres de marbre ont été « empruntés » au temple de Déméter, tout proche alors. Ensuite, les aléas des occupations successives, les pillages, les raids des pirates, le séisme de 1773 modifièrent l’apparence de l’église, qui fut rendue à sa forme première lors d’un important travail de restauration dans les années 1960.

L’église a aujourd’hui l’aspect d’un monastère, avec son mur d’enceinte, sa cour intérieure, son jardin et les cellules de moines… qui n’en abritent plus. Le bâtiment en croix grecque fait forte impression avec ses rangées de piliers, ses colonnades et sa large coupole. Le marbre sur la partie inférieur des murs, les pierres taillées de couleur des voûtes, la richesse de l’iconostase, le lustre imposant, l’or des icônes, vous tombent littéralement dessus : elle est à la fois sobre mais somptueuse, bien équilibrée mais remarquable, grandiose sans être grandiloquente. Sa chapelle Saint-Nicolas et son baptistère aux fonts baptismaux cruciformes, tous deux rescapés du IVe siècle, dépouillés, presque austères, émeuvent par leur simplicité et leur dénuement. On touche là à quelque chose d’originel, d’essentiel, qui vous remue singulièrement la corde sensible.  

Au XIIIe siècle, ce sont les Vénitiens qui se serviront des ruines des sanctuaires antiques pour ériger le kastro de Paros : des blocs de marbre, des morceaux de colonnes ont été intégrés au mur d’enceinte de la forteresse, que l’on atteint à partir de la vieille ville de Parikia. On monte doucement en lacis, dans d’étroites ruelles tachées du rose et du rouge des bougainvilliers, les petites maisons cubiques serrées les unes contre les autres, à l’abri des attaques des pirates ; passages voutés, placettes, chapelles discrètes, escaliers dérobés, l’ensemble a gardé son cachet, son charme, à deux pas pourtant des rues plus fréquentées où s’alignent les boutiques de souvenirs.


C’est une des raisons du bien-être que l’on ressent à Paros, à savoir un équilibre, une coexistence réussie entre des lieux d’histoire et les impératifs économiques du présent. Entre un café et une épicerie, on peut toujours admirer la beauté des maisons de maître aux toits de tuiles, les balcons ouvragés, les corniches, des balustrades, des fontaines du XVIIIe siècle. Les magasins sont discrets, respectent l’harmonie des rues, se fondent dans le décor sans agressivité et coexistent avec l’église d’à côté et la demeure seigneuriale à blason du coin. Les enfants de Parikia jouent sur la grand’ place, on déguste une glace entre deux popes, on partage les fêtes du village, on se mêle à la population sans se sentir trop touristes ou étrangers, et on est vite intégré au tempo de l’île. C’est pourquoi on revient toujours à Paros, parce qu’on y a laissé un gros bout de soi et qu’on ressent toujours une bouffée d’émotion lorsque le ferry abaisse le battant du pont arrière, et que les ailes du moulin de Parikia se dessinent lentement…

 

* Comme Naxos d’ailleurs

** Selon la légende, sainte Hélène et son fils l’Empereur Constantin, revenus de Palestine avec la Sainte Croix, seraient les fondateurs de l’église.