Vous me direz alors, si cette mise en scène est à ce point litigieuse, pourquoi faire l’acquisition du DVD ? Eh bien, d’une part, parce l’enregistrement gomme une partie des défauts de la mise en scène. Les choix aberrants de Luc Bondy ne se sont pas évanouis par magie mais la caméra resserre notre attention sur les interprètes, gommant ce décor cafardeux et ce vide béant, qui absorbait trop souvent les voix : on ne perd plus rien de l’émotion et on reste focalisé sur les conflits intérieurs des personnages.

D’autre part, règne sur cet oratorio, Joyce DiDonato, théâtrale au possible, qui tient l’œuvre de bout en bout : tendue, dramatique, majestueuse, elle compose une Dejanire mémorable, capable de la pire fureur, d’excès, d’une surabondance d’émotions et puis soudain, d’un incommensurable chagrin dont la sincérité bouleverse. Durant l’aria de l’acte II « Cease, ruler of the day, to rise » Joyce DiDonato se dépouille de sa carapace, abandonne sa rage de femme présumée bafouée, et pleure son désespoir qui la ronge. Il m’a fallu revoir Hercules en DVD pour remarquer que la mezzo américaine laisse couler de vraies larmes, étendue sur le sable, endurant un intolérable désespoir.

Ce mélange de puissance vigoureuse et de sensibilité à fleur de peau  trouve son paroxysme avec son grand air frénétique du III « Where shall I fly ? », où elle semble s’embraser de culpabilité, en plein délire fiévreux. Sa densité vocale est remarquable, solide comme un muscle bien entraîné, alerte et souple. Ce n’est plus une interprétation, mais une performance.

A ces côtés, en contraste absolu, la toute jeune soprano suédoise Ingela Bohlin, est aussi formidable. Sa voix a la transparence de l’onde, toute en douceur irisée. Si elle sait affronter Déjanire dans une joute de vocalises bien campée, elle excelle dans les nuances et dans une infinie délicatesse.

Les deux rôles masculins, Hercule (William Shimell) et son fils Hyllus (Toby Spence), sont tenus par deux chanteurs au physique approprié. Et c’est à peu près tout : carrure d’athlète et joli minois, mais timbres insignifiants. On aurait aimé un Hercule…herculéen, digne de sa filiation avec Jupiter, puissant, combatif, pugnace, bien campé dans ses graves et ses rangers. Pourtant cela reste flou, flottant, sans netteté. Toby Spence fait ce qu’il peut mais reste pâlot, trop tendre et l’on s’ennuie devant son manque d’inspiration. Sans doute souffrent-ils de la comparaison avec la complexité de Déjanire et l’interprétation de Joyce DiDonato, qui s’investit sans limite et qui éclipse des personnages trop lisses. L’oratorio a beau s’intituler Hercules,  il s’agit, comme de coutume, d’une œuvre à la gloire des femmes.