1Q84
Livre 1 Avril-Juin

Editions Belfond, 2011

Commençons par pester contre l’éditeur : les deux premiers livres de la trilogie 1Q84 ont été traduits dans le même temps mais édités en deux volumes, qui atteignent 520 pages chacun. Evidemment, quand on utilise une typo pour myopes glaucomeux, on gonfle artificiellement la longueur du texte et on s’assure une recette dodue. Á 23€ le volume, on aura dépensé 69€ au total, plus cher qu’un tome de Pléiade. L’édition américaine complète tient en un seul volume de 944 pages, au prix de 30$ (soit, 21€). Certains sont éditeurs, d’autres, épiciers.

Ceci dit, le livre est-il à la hauteur de la réputation qui le précède ? Ventes record au Japon, files d’attente devant les librairies pour la sortie du Livre 3 à Tokyo, Murakami annoncé nobélisable,  la barre est mise très haut. Mon sentiment sera un tantinet plus nuancé. Indubitablement le style est absolument magnifique, épuré, c’est une rivière qui coule le long des pages, avec des termes tout simples, sans maniérisme : rien de frelaté, de faussement recherché, d’artificiel. L’auteur ne se paie pas de mots : ses phrases glissent naturellement, ondulent, et font preuve d’une extraordinaire mise en image, d’un rare pouvoir d’évocation. Pas de longues descriptions inutiles mais le souci du détail opportun, qui sert la compréhension d’une atmosphère. La qualité littéraire du texte est indéniable.

Par contre, la lenteur de la narration est pesante : ce Livre 1 est une quasi-mise en place de l’intrigue, une présentation des personnages principaux et l’histoire met plus de 200 pages à décoller. Sans doute, le choix d’alterner les chapitres dédiés à chacun des deux protagonistes entrave, dans la première moitié, la dynamique du récit. Que peuvent avoir en commun une professeur de self-defense et de streching – tueuse de violeurs à ses heures * –, avec un professeur de mathématiques, qui partage son temps entre l’enseignement et l’écriture de romans ? Ces deux-là, qui semblent asymétriques au possible, ont un bon bout de passé et de futur en harmonie. Et amener leur univers à s’ajuster demande des pages d’élaboration fastidieuse.

Cet écueil dépassé, l’histoire chancelle, sans que le lecteur n’y prenne garde, vers un univers décalé, onirique, pas toujours très confortable. Sans atteindre ses délires nébuleux, le glissement des personnages vers une seconde dimension (où l’année 1984, durant laquelle se déroule l’histoire principale, devient l’année 1Q84) m’a souvent fait penser au cinéma de David Lynch ; deux personnages pivot, deux versants du récit, la confusion réel/irréel, l’intrusion de détails bizarres, voir incongrus, le flou dérangeant de certaines scènes capitales (rêvées/vécues ?), ce goût de l’alternance de moments très doux et poétiques et de scènes violentes où aucun détail n’est épargné.

Á la fin du Livres 1, tous les personnages sont identifiés et construits, l’intrigue est posée (combat contre une secte de fanatiques religieux et vengeance des violences faites à des petites filles *),  il reste aux deux héros à se retrouver, à comprendre les motifs de l’existence de ce monde parallèle, à faire la lumière sur la nature d’êtres fantastiques dont on ignore les intentions. Mais comme le souligne l’auteur « Il ne faut pas se laisser abuser par les apparences ; la réalité n’est toujours qu’une ».

 * non, rien à voir avec la trilogie suédoise…