« Παπαρούνα» est le premier mot de grec moderne inscrit dans ma mémoire. Et c’est aujourd’hui son anniversaire, les vingt printemps d’un petit mot pimpant et rutilant, qui me fut donné lors d’un voyage d’étudiants fin avril 1992… je garde en général à distance la nostalgie larmoyante, mais je retiens de ce premier contact avec la Grèce des images intactes et limpides. Alors étudiante en droit, des auspices ingénieux et quelques bonnes relations m’avaient accrochée à un périple d’hypokhâgneux d’Henri IV, soutenus par de frais Normaliens, à la découverte du Péloponnèse.

Á l’opposé de ces cervelles bien faites et imprégnées de culture hellène, je touchais une terre quasi-inconnue, mais je trouvais, grâce à mes compagnons de fortune, les réponses à mes incessantes et tannantes questions, qui révélaient des lacunes confinant à l’ignorance la plus crasse. Tous jonglaient avec les dates, les conflits, les batailles, les subtilités de l’architecture, les références culturelles, ce qui me faisait cruellement défaut (je me revois demander à D.B. avec hardiesse, qui était cette ATOLOS que nous devions rencontrer à Delphes… sa mine déconfite et limite effrayée me renvoyait illico à ma cancrerie : j’eus droit cependant à un premier cours improvisé sur les temples circulaires, ce qui me permit de rentrer crânement sur le site, prête à admirer la Tholos…).

Avec patience, amusement parfois, et hilarité spontanée souvent, ces étudiants de Lettres Classiques m’ont transmis un peu de leurs lumières, m’ouvrant un modeste passage vers la compréhension et l’amour de ce pays. Mais au-delà des lieux mythiques parcourus, qui font cavaler l’imaginaire et la rêverie (Mystra, Olympie, Delphes, Mycènes, Corinthe), j’ai eu la chance de découvrir la Grèce à cette période fugace où la nature fait fleurir et flamboyer la terre, libre de toute invasion touristique, ou presque. Nous fûmes ainsi seuls à escalader les gradins du temple d’Épidaure, libres d’écouter, fascinés, les voix de la chorale du lycée Henri IV monter de l’orchestra. Ces parenthèses solaires et radieuses flottent encore quelquefois, deux décennies plus tard, suspendues dans ma mémoire :

–         la montée au Lycabette pour découvrir Athènes d’un seul regard

–         une bataille de polochon débridée dans une chambre de filles déchaînées

–         une fin d’après-midi passée à refaire le monde dans un champ couvert de coquelicots

–         les ruelles de Plaka

–         le silence de Mystra

–         les oranges grecques (non, rien à voir avec les autres…)

–         la moussaka – presque végétarienne – d’une taverne près de Mycènes, saveur jamais retrouvée

–         l’agneau, présent à chaque repas lors de cette semaine de carème, auquel je refusais catégoriquement de goûter

–         le Cap Sounion au coucher du soleil

–         une nuit blanche passée dans l’ancien aéroport d’Athènes à attendre un avion « delayed »

–         le sourire craquant d’un prof de grec ancien et son écharpe rouge

–         les nouveaux amis qui n’imaginent pas encore qu’ils seront toujours là vingt ans plus tard

–         et ceux que l’on a perdus en chemin et que l’on regrette à perpétuité.

Merci à Domy, Isabella, Ballon, Berny (qui y était sans le savoir), Luigi et les autres, d’avoir été … très « aποτροπαιοι »  (very, private joke).

photos : avec autorisation d’ I.G.