J’ai toujours cru abominer les artichauts, ce presque chardon moche et bête, que j’ai trop vu pousser dans le Léon, sous une pluie bretonne tenace, à vous coller un bourdon têtu et durable. Je fuis tout autant le bigotisme et ses manifestations doloristes, et je n’ai que peu d’attachements pour les pigeons, en dépit de Sidonie (par nous baptisée ainsi), jeune et gracieux volatile, qui avait élu notre balcon pour perpétuer son espèce.

Alors, passer 8 jours à Tinos, fameuse pour cette trilogie, n’allait pas vraiment de soi… pourtant, tourner le dos à cette Cyclade du Nord est une bévue de taille et je ne me félicite pas de l’avoir indûment méjugée durant autant d’années.

Á l’exception d’une petite partie de la côte sud, à l’ouest du port, Tinos est une île miraculeusement préservée, sauvegardée du bétonnage, des constructions anarchiques, des carcasses d’habitations inachevées, qui défigurent certaines de ses semblables. Je ne crois pas avoir jamais arpenté autant de beaux villages, avec du caractère, de l’âme, du singulier, du surprenant, de l’identité : Volax, Loutra, Tripotamos, Agapi, Kardiani, Isternia, Tarambados, Arnados, Pirgos… il faut tous les découvrir, parcourir leurs ruelles étroites, leurs arcades, passer sous les voûtes, admirer leurs lavoirs (encore utilisés de nos jours), leurs fontaines de marbre, les hyperthiras* qui ornent les fenêtres, dégringoler les escaliers, remonter jusqu’aux églises, tel un jeu de piste organisé dans le plus authentique décor qui soit. Pirgos mis à part, un brin touristique, tous les autres villages sonnent juste, sonnent vrai, comme si le temps avait arrêté sa course pour protéger l’atmosphère paisible, unique de ces lieux.

Au printemps, les collines sont couvertes de fleurs rouges, jaunes et mauves, le thym, l’origan, la sauge embaument déjà, les plages n’attendent que vous. C’est le bon moment pour admirer les 600 pigeonniers, tours carrées découpées comme de la dentelle, blanchies ou laissées brutes, qui tachètent les paysages vallonnés.

Rien ne vous oblige, à Tinos-ville (Chora), à vous éterniser devant la Panagia Evaggelistra, lieu de pèlerinage orthodoxe, qui attire les croyants au mois d’août : elle n’a pas beaucoup d’intérêt, trop récente, trop vilaine, trop artificielle pour être émouvante. De plus, la montée à genoux des pèlerins vers l’église n’a rien d’un spectacle captivant et on se détourne vite des marchands du temple, qui vendent des cierges de plus d’un mètre et des flacons en plastique pour recueillir l’eau bénite.

Allez plutôt vous attabler devant les spécialités gourmandes de l’île, les délicats, succulents, petits artichauts au vinaigre, le fromage de chèvre local, la louza, sorte de jambon séché et fumé qui fond dans la bouche, les beignets de fenouil, les câpres suaves et les « glyka tou koutaliou », fruits confits faits maison, que l’on déguste avec le café ou sur le yaourt (la cerise noire est un must, dont je lèche l’assiette sans remords).

Attention toutefois à garder sous la main des vêtements chauds et une bonne couverture pour les nuits : si nous avons commencé notre séjour avec une température d’été, nous l’avons fini rhabillés, avec 10 degrés en moins, l’île étant connue pour ses coups de vent violents qui rafraichîssent l’atmosphère. Les nuages bas envahissent alors Tinos, qui a tout soudainement des Hauts du Hurlevent.

* demi-cercle de marbre sculpté au dessus des fenêtres et des portes.