Pour tous ceux qui, dans leurs jeunes années, ne connaissaient de la Grèce que L’Été grec, le premier voyage en terre hellène avait forcément quelque chose de décalé ; même si les derniers chapitres ajoutés au livre pour sa réédition nous montraient un Lacarrière tout déconfit par les bouleversements qu’avait connus le pays, lors de son retour en terre promise après une longue parenthèse choisie, nous n’avions pris le pouls de la Grèce qu’au travers des déambulations pédestres d’un jeune homme qui l’avait arpentée à une époque totalement révolue. On avait du mal à raccorder ses récits avec ce que l’on avait sous les yeux, un état moderne et prospère (enfin, pour la prospérité, je parle des années 90…).

Lacarrière nous a fait goûter la saveur d’un monde disparu, que nous avions un peu tendance à idéaliser, comme une sorte de paradis perdu dont on garde une nostalgie, mal à propos : combien de fois ai-je subi les admonestations de πουλακι μου, me claironnant aux oreilles l’état d’extrême pauvreté de la Grèce qui se relevait alors comme elle le pouvait de la guerre civile et la dureté du régime qui s’est instauré ensuite ? Je faisais à chaque fois profil bas, sachant pertinemment le bien-fondé de ses remarques.

Mais j’ai tout de même couru dans le XIVe, dès que j’ai su que Lacarrière avait aussi joué de son Leica lors de ses pérégrinations et que l’on allait replonger dans la Grèce « d’avant »… Des clichés noirs et blancs, des portraits, la vie des humbles ou des reclus (superbes photos des ermites du mont Athos), des jeux d’ombres de lumière, de cette lumière coupante qui aplatit les reliefs, « un pays, en somme, où la rigueur janséniste de la chaux s’opposait aux vertiges de l’ombre, un pays presque inhumain tant il devient austère ». « Ces lieux nus et brûlants avec leurs arêtes vives et leurs surfaces arasées évoquent pour moi les vieilles géométries d’Euclide et de Thalès. C’est d’ailleurs ici qu’elles sont nées, dans ce pays géométrique où le soleil joue aux mathématiques avec l’ombre. »

  

  

Photographies de Jacques Lacarrière – « Ombre et lumière »

Librairie-galerie Desmos

14 rue Vandamme – 75014 PARIS

Jusqu’au 13 avril / 15 heures – 19 heures

Métro Edgar Quinet ou Gaité