Alexandre Papadiamantis – Désirs et transgressions

 

L’île d’Ouranitsa

Recueil de neuf nouvelles d’Alexandre Papadiamantis (1851-1911)

Η Μαυρομαντηλού (1891), Ο Αμερικάνος (1891), Η Νοσταλγός (1894), Ο Έρωτας στα χιόνια (1896), Τα Δαιμόνια στο ρέμα (1900), Όνειρο στο κύμα (1900), Η Φαρμακολύτρια (1900), Υπό την βασιλικήν δρύν (1901), Το Νησί της Ουρανίτσας (1902)

Traduction René Bouchet, Éditions Cambourakis, 2013

 

Et dire qu’Alexandre Papadiamantis passe d’ordinaire pour un écrivain austère et pessimiste, pourfendeur du mariage et de la procréation, la foi orthodoxe chevillée au corps, la plume trempée dans le réalisme et les traditions de son île ! Le cilice le plus serré peut cependant parfois se fendiller et laisser sourdre une révolte contre l’autorité et les interdits : chez le reclus de Skiathos, on trouve aussi un cœur qui bat, parfois même un corps inflammable.

Comment une grande majorité des personnages du recueil en arrivent-ils à braver la toute-puissance de l’église, de la famille, de la morale, pour se libérer, même un court instant, des brides qui les entravent, les musellent, et trouver enfin une parcelle de bonheur ? Tous, au quotidien, portent sur leurs épaules un fardeau accablant qui devient soudainement insupportable ; l’obéissance, le sacrifice, le renoncement finissent par valser au profit d’une libération, d’une parenthèse de bien-être, voire de volupté, si courte soit-elle.

Cette rébellion intervient à chaque fois que le héros d’une nouvelle se retrouve face à un défi, très souvent durant une période sainte du calendrier religieux orthodoxe : une violente cavalcade à dos de jument le jour de la décollation du Baptiste, le sauvetage d’un enfant noyé durant le Carême, une escapade en barque avec une jeune épousée, une échappée furtive durant un office de la Semaine Sainte, sont les déclencheurs qui permettent aux personnages de se dépasser, de braver leur peur, de s’affranchir des limites. Une fois l’épreuve surmontée, les personnages accèdent à un moment privilégié de plénitude, où le plaisir a remplacé le devoir : certains gamins jouissent d’une première et enivrante liberté volée, d’autres fantasment sur les dryades qui habitent les vieux chênes, les pêcheurs s’enlacent à des mortelles devenues rochers, des adolescents revendiquent d’aimer des femmes plus âgées… même si ces instants de bonheur sont fugaces, ils méritent les risques qu’ils ont coûtés. Chez Papadiamantis, l’extase, résultat d’un dépassement de soi, se conquiert : je courais à perdre haleine pour arriver au plus vite, embrasser ma bien-aimée, car ce chêne fut mon premier amour d’enfance… j’éprouvais un plaisir merveilleux, je rêvais en levant les yeux vers les branches épaisses, j’ouvrais et fermais mes lèvres avec volupté au souffle de la brise… la fraîcheur, le parfum et la joie faisait fondre mon cœur… je crus voir à la racine de chêne deux jambes bien galbées, le tronc me parut se remodeler pour prendre la forme d’une taille, d’un ventre, d’une poitrine aux deux seins retroussés avec grâce. Oui, il arrive qu’Alexandre Papadiamantis se laisse aller… Les héros de ces nouvelles s’égarent souvent, se révoltent parfois, pour entrevoir un petit bout d’Eden, suffisant pour les marquer à jamais. On peut donc choisir un chemin de traverse, à condition d’être prêt à en payer le prix.

Alors certes, l’objet des transports amoureux des personnages reste malgré tout inaccessible, excepté ses brefs moments de ravissement : les femmes sont déjà prises, les jeunes filles demeurent inaccessibles socialement, les figures féminines s’incarnent dans la pierre et le bois, ou deviennent des allégories de la Nature. Les personnages masculins retournent ensuite à leur solitude et à leur frustration, car la souffrance n’est jamais très loin chez ce fils de pope vite rattrapé par la culpabilité de s’être affranchi des règles : du plaisir à la culpabilité, de la culpabilité au péché, il n’y a qu’un pas.

Alors, suffirait-il d’accepter le joug des conventions et de la religion, de rester à l’écart des tentations pour demeurer vertueux ? Ce n’est pas aussi simple. Á moins d’être un vrai moine reclus dans son monastère, le désir est omniprésent. Certains personnages préfèrent rester des observateurs lointains des femmes, spectateurs fatalistes, mais cette position de voyeurs silencieux n’est pas sans danger : Yannios, le marin sans-le-sou qui reste à la porte de sa belle par une nuit froide de décembre, finit par mourir sous un linceul de neige, sans avoir avoué son amour. Ou ce jeune berger qui épie dans l’ombre le bain nocturne d’une demoiselle, délaisse son troupeau et laisse sa chèvre préférée s’étrangler avec sa corde. L’amour, la liberté, paraissent donc difficilement compatibles avec ce qu’Alexandre Papadiamantis appelle le droit chemin.

Dans de rares occasions, l’auteur ne peut s’empêcher de tenir à distance les drames et les chagrins, avec des histoires d’amour qui finissent carrément bien et des fiancés transportés de bonheur : restés fidèles à leurs sentiments durant vingt ans, les cloches peuvent alors sonner à la volée pour leurs noces radieuses… Alexandre Papadiamantis  peut aussi être soudain étonnamment sentimental et fleur bleue !

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