1Q84 – Livre 3 Octobre-Décembre, Editions Belfond, 2012

« Tout à coup le terrain s’affaisse et ouvre un abîme »

Étrange impression laissée par l’ultime morceau du puzzle : devant la pauvreté du dernier volet de la trilogie 1Q84, nous sommes en droit de nous demander si nous ne nous sommes pas fait berner comme des bleus par Murakami. Le tapage médiatique, la notoriété de l’auteur, les ventes internationales vertigineuses, ont fait de cette histoire scindée en trois volumes une référence littéraire qu’elle ne mérite pas. C’est sans doute ce qui pend au nez des auteurs qui veulent ratisser large et qui délaient un brouet tiède, destiné à plaire au plus grand nombre, au détriment de ce qui a fait leur singularité.

Haruki Murakami fait entendre une troisième et nouvelle voix, celle d’un détective privé incongru et collant, lancé aux trousses de notre tueuse Aomamé, mais qui ignore tout de ce qui lie les deux héros, contrairement aux lecteurs ; détricoter leurs enfances, leurs blessures similaires, les chaînes qui unissent les personnages que nous côtoyons depuis 500 pages prend énormément de temps et n’apporte rien d’inédit au récit. Murakami repasse du réchauffé, tire à la ligne, radote, tourne en rond et on languit que quelque chose se passe enfin.

D’ailleurs, tout le monde poireaute dans ce Livre 3 : Aomamé attend la fin de l’année 1Q84 cloitrée dans un appartement, Tengo accompagne son père vers la mort enfermé dans un hôpital, le détective guette les héros et leur chute dans sa souricière, reclus dans un appartement vide.

Perdue la poésie, envolé le fantastique, délité le mystère, diluée la tension : ne reste qu’une pâle copie truffée de name dropping (Proust, Jung, Tolstoï, Sibélius, Janáček… ça fera toujours plaisir au marché du livre européen), où l’auteur semble oublier le monde décalé qu’il a créé. Ne comptez pas avoir des réponses, des explications, des éclaircissements sur les Little People, les chrysalides, les Mothers and Daughters, les lunes jaunes et vertes, Murakami laisse tomber sa mythologie pour un happy-end téléphoné qui frôle le grotesque : la scène de lit des retrouvailles entre nos deux héros, vingt ans après, qui ont laissé des cadavres et bien des énigmes derrière eux, atteint les sommets du ridicule avec une interrogation, certainement existentielle, sur la taille des seins de notre héroïne… tout ça pour en arriver là !