———– Contient des spoilers—————–


Nous faisions un peu grise mine en sortant hier soir du Gaumont Opéra, A., F. et moi. Avions-nous mis la barre outrageusement haut et trop espéré de Ridley ? On aurait dû se méfier en voyant le nom du scénariste, déjà responsable du gloubiboulga fumeux de Lost. Comment un pareil imposteur (j’me la pète, j’embrouille, je suis dépassé, je bâcle une fin boiteuse) a-t-il pu tenir le manche du film le plus attendu de cette année ?

Alien est un de mes films préférés, la référence absolue de la SF, jamais égalé dans le genre « traque en huis clos anxiogène », bâtie sur une histoire linéaire bien modeste mais efficace, magnifiée par le travail de Giger et la caméra de Ridley Scott. Prometheus en est bien le prequel, la genèse, mais aux antipodes de la rigueur, de l’austérité, de la tension qui glaçaient son illustre ancêtre. Prometheus est un film brouillon, qui part dans tous les sens, qui tient à la fois de la lignée mais aussi, hélas, du remake. Á mélanger les genres, à vouloir ratisser large, à poser des questions vides d’intérêts tout en liquidant celles qui ont donné à la trilogie* sa mythologie, à multiplier d’appuyés clins d’œil aux scènes légendaires, inscrites dans la conscience collective des fans, le scénario s’autodétruit et vire à la caricature pour ados croqueurs de pop corn.

Pourtant, l’idée de départ – qui est ce « space jokey », explosé par un alien, découvert dans l’opus I sur LV-426, fossilisé à bord du vaisseau Derelict ? – avait nourri toutes nos espérances. Contre toute attente, les 5 premières minutes de Prometheus expédient le suspens : « terriens, voilà, votre créateur ». Pour la subtilité et les questions métaphysiques, on retournera chez Kubrick. Cette question des origines, de la filiation, de la connaissance ravie aux dieux, de l’ambition dévorante et de l’arrogance des hommes envers leur créateur est un terreau passionnant (l’équipage du Nostromo n’appelait-il pas déjà l’ordinateur de bord « mother » ?). Pourquoi alourdir le propos avec les gnangnanteries d’usage sur la foi, des symboles pesants, des sentences dévotes assenées les yeux embués ?

On rêve d’un Prometheus resserré autour du trio Weyland/David/Vickers**, avec un Oedipe acidulé très présent qui vient en rajouter au demi-dieu voleur de feu. On aurait pu se passer de tout le reste de l’équipage, des scientifiques asociaux et trouillards, des mercenaires bourrus, de la wonder-girl (pas crédible pour un sou) que joue Noomi Rapace. Le film n’avait pas besoin de donner autant de place à ce qui est la « pâte originelle » des aliens, ces bestioles grotesques qui évolueront vers le monstre terrifiant que nous connaissons (pourquoi ne pas avoir rappelé carrément Giger, qui nous aurait évité ces « encornets et poulpes »). On passe sur les incohérences, les approximations, les réactions illogiques de l’équipage scientifique, leur légèreté. Seuls David et Vickers sont crédibles, rationnels, en place. Mention spéciale à Fassbender qui domine tout le film et qui incarne le personnage le plus complexe et passionnant qui soit.

Malgré toutes ces réserves et déceptions, il faut aller voir Prometheus pour la caméra de Scott, pour l’esthétique du film, les décors, l’atmosphère, les prouesses technologiques à couper le souffle, les effets spéciaux fantastiques, les scènes d’action hallucinées. On regrette souvent que la caméra bouge si vite, on aimerait prendre son temps pour disséquer tous les détails, s’arrêter sur les fresques, les murs, le vaisseau des fondateurs. Visiblement, Scott a privilégié la forme au fond, le fantastique à la philosophie, le mouvement à la contemplation, le verbiage au silence, les réponses simplistes aux mystères. Les colosses humanoïdes qui nous ont donné la vie avaient pour but de revenir nous détruire. Le film n’en révèle pas les raisons. Nous les avions peut-être tout simplement… déçus. Ils ne sont pas les seuls.

 

*    le navet de Jeunet est bien évidemment à bannir

**  d’accord, j’ai perdu, Vickers n’est pas un robot mais David en est la version artificielle masculine et il y a bien entre ces deux personnages une « parenté ».