Naomi Alderman – Les femmes sont des hommes comme les autres…

 

Le Pouvoir (The Power – 2016)

Roman de Naomi Alderman

Traduction Christine Barbaste

Calmann-Lévy, 2018

 

Mais quel roman mal foutu ! Le Pouvoir est arrivé fort de son succès outre-Manche, du soutien de Margaret Atwood et de son Bailey’s Women’s Prize obtenu en 2017. Quelque chose devait donc m’échapper pour que, à la différence des lecteurs anglais,  je ne saisisse pas immédiatement les intentions, et la thèse défendue par Naomi Alderman. Son écriture bancale, indigente, répétitive, n’aide pas à suivre son propos, morcelé dans une succession de courts chapitres inégaux, brusquement interrompue par une fin bâclée. Il a fallu que je me fasse violence pour entamer une troisième lecture où, enfin, la lumière fut.

Le roman, écrit bien avant l’affaire Weinstein et ses prolongements (raison sans doute du battage autour du livre), trouve aujourd’hui un écho inattendu. Á l’heure où l’on peut lire et entendre beaucoup d’inepties caricaturales sur les relations hommes / femmes (prédisposition quasi génétique des hommes à l’agression versus la douceur et la bienveillance innée des femmes), Naomi Alderman propose d’inverser les rôles dans un futur proche.

Que se passerait-il si les hommes, détenteurs depuis des milliers d’années de la force physique (fondement de la société patriarcale), n’en avait plus le monopole ? Si les femmes obtenaient soudain, grâce à une mutation génétique, la suprématie physique (ici la possibilité de générer un arc électrique capable de tuer), qu’en feraient-elles ? Un nouvel Eden, une société égalitaire ? Un hâvre de quiétude où règneraient la paix, la concorde et la justice, se mettrait-il en place, ou bien les femmes jouiraient-elles sans limites de ce pouvoir pour reconstruite un nouveau déséquilibre, à leur profit ? Pour Naomi Alderman, le rapport dominant/dominée s’inverserait immédiatement pour donner naissance à une société matriarcale capable des mêmes injustices, des mêmes violences, de la même soif d’asservir et de posséder. D’abord, parce que les femmes auraient dans un premier temps des comptes à régler avec leurs anciens bourreaux, et qu’il n’y a qu’un pas, des révolutions de rues aux bains de sang (ce n’est pas un hasard si l’Inde et l’Arabie Saoudite sont dans le roman les pays d’emblée touchés par les révoltes des femmes).

Ensuite, parce que le pouvoir n’a rien à voir avec le sexe d’un individu. En détenant à leur tour la force, la puissance, les femmes vont se délester de la peur, de leur complexe d’infériorité, des limites intégrées souvent bien malgré elles, qui entravaient leur capacité de choix et d’actions. Le pouvoir permet l’exercice de la liberté totale. Pourquoi, entre les mains d’une femme, cette liberté absolue aboutirait-elle à une conduite plus « morale » que celle d’un homme ?

Les héroïnes de Naomi Alderman se jettent comme des affamées sur ces espaces qui leur sont enfin ouverts, qu’ils soient politiques, économiques ou religieux. Mais jamais elles n’envisagent d’agir pour le bien commun. L’altruisme, la générosité, l’humanité ? Pour quelles raisons ? Le pouvoir se suffit à lui-même, il est une soif qu’on ne peut étancher, une jouissance absolue, et oui, en effet, il corrompt. La romancière souligne à plusieurs reprises que l’exercice du pouvoir ne requiert aucune justification : on le prend et on s’en sert. Les hommes du roman, devenus le sexe faible, se demandent pourquoi les femmes agissent avec autant de fureur et de cruauté. La réponse est à chaque fois la même : « parce qu’elles le peuvent ». Le comportement d’un être humain n’est donc pas issu d’un déterminisme sexuel, mais surtout d’une construction sociale, et de structures historiques et politiques (un personnage féminin du roman souligne : « Être une femme est inextricablement lié à la force, l’insensibilité, la peur ou la douleur qu’on attend de nous… » « un monde gouverné par les hommes serait plus agréable, plus doux, plus aimant et plus propice à l’épanouissement… »). Une femme n’est ni faible ni forte par nature. Elle devient ce que la société où elle naît attend d’elle, et lui offre comme opportunité.

La construction même du livre en poupée russe nous invite à réfléchir sur l’assimilation inconsciente des préjugés. Le Pouvoir est en fait un roman écrit par un homme, cinq mille ans après le Grand Cataclysme, le conflit mondial qui a vu la victoire du matriarcat. Le jeune romancier tente de reconstruire ce qu’était l’ancien système (le nôtre), et retrace l’enchaînement des événements qui ont changé la face du monde, de la modification génétique des femmes à leur prise de pouvoir par la force. Il adresse son manuscrit (celui donc que nous venons de lire) à une femme, romancière elle-aussi, avec laquelle il va entretenir un échange épistolaire qui encadre la lecture de son roman. Et c’est soudain le monde à l’envers, lequel devient très vite inconfortable. L’homme, timide et révérencieux, ne cesse de lui demander des conseils, s’excuse, la remercie avec respect, tandis qu’elle le traite avec condescendance, l’infantilise, minimise ses recherches à coup de sous-entendus sexuels déplacés. Elle lui conseille même de publier sous un nom de femme, car franchement, qui prendrait les écrits d’un homme au sérieux… Les femmes d’aujourd’hui ont intégré bien souvent les rebuffades et le mépris qu’elles vivent au quotidien, mais en voyant un homme se faire traiter de la sorte, en inversant le rapport de force comme le fait Naomi Alderman, l’injustice en redevient totalement insupportable.

Le Pouvoir ne sera sans doute pas le livre de chevet de certaines ultra-féministes qui aiment à cataloguer les femmes en victimes perpétuelles. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à leur rappeler sur l’attitude de la Reine Victoria durant la grande famine irlandaise, sur celle de Margaret Thatcher avec les mineurs, ou sur la passivité d’Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix en 1991, qui ferme aujourd’hui les yeux sur le nettoyage ethnique qui se déroule dans son pays.

 

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