Y’a comme un goût de trop peu au 222, boulevard Saint Germain. Que les acquisitions du Musée soient présentées au public est une très belle chose mais encore faut-il nourrir, étonner, désarçonner le visiteur, surtout lorsque un poète est à l’honneur, du genre à courir à contre-courant et à prendre les poncifs à rebrousse-poil. La plus belle exposition Cocteau reste, selon moi, celle organisée à Évian au printemps 2010, copieuse rétrospective de 450 œuvres, dans une mise en scène théâtrale très inspirée. Déambuler dans de petites alcôves tendues de rouge, s’immerger dans un univers singulier, ricocher de surprises en imprévus, était euphorisant.

Aujourd’hui, le banquet est plus frugal, voire frustrant. L’intitulé a d’ailleurs tout du lieu commun « Jean Cocteau le magnifique. Les miroirs d’un poète ».  Pour saluer un homme qui avait le don de la formule qui claque, on aurait pu se décrasser un peu les neurones. Les commissaires de l’exposition sont restés au milieu du gué, hésitant visiblement entre une présentation grand-public (scénographie chronologique, focus sur les grands classiques, cloisonnement des disciplines) et une volonté de mettre en valeur des inédits, des pièces rares et jamais exposées. Les néophytes passeront à côté des œuvres maîtresses, l’audace des dessins du Mystère de Jean l’Oiseleur ne leur sautera pas immédiatement au visage et le papier jauni des lettres à Jeannot Marais ne les tourneboulera pas outre-mesure, mais ils seront avant tout frustrés de voir résumer Cocteau à une vingtaine de pupitres qui n’éclairent en rien la complexité et les métamorphoses du poète. Les familiers de l’œuvre maugréeront devant les redites, les généralités, et les reconstitutions tape-à-l’œil, tout en se jetant fiévreusement sur les manuscrits autographes, les dessins inédits et les lettres originales avec une authentique émotion.

Et il y a bien du sang neuf dans cette exposition réduite par la taille mais on se doute bien que le Musée a planqué d’autres trésors au profit de pièces inutiles et ressassées. Pourquoi mettre en valeur des affiches de films connues de tous quand on doit mettre genoux à terre pour boire des yeux des dessins jamais montrés ? Des poèmes à Marais, que nous récitions ados comme des talismans, un seul et unique est exposé (quatre vers en tout)… quelle déception ! Il fallait un peu d’audace, de partialité pour n’exposer QUE du jamais vu et de l’exceptionnel, comme ces feuillets du manuscrit des Parents Terribles, où Cocteau oscille entre plusieurs titres, dessine les plans des décors et jette ses premières notes. Et comme il est impossible de tourner les pages du script de La Belle et la Bête, dont les quelques dessins originaux visibles m’ont mise en effervescence, on regrette que des copies des autres pages ne soient pas accessibles, au lieu de mobiliser un espace pour l’Eternel retour, qui est tout sauf un chef d’œuvre. A vouloir ratisser trop large, les choix du Musée chagrinent : je ne résiste pas d’ailleurs à recopier la phrase sidérante de Gérard Lhéritier, Président du Musée des Lettres et Manuscrits, dans le dossier de presse, qui en dit long : « Jean Cocteau demeure aujourd’hui une référence, une source d’inspiration inépuisable pour nombre de créateurs, de Jean-Luc Godard à Arielle Dombasle. » Je ne sais pas s’il faut en rire…

* Jusqu’au 23 février 2014