Passant une bonne partie de mes journées autour du quartier de l’Opéra, – Garnier, j’entends, pas le grand machin qui partait déjà en lambeaux quelques mois après sa construction –, je croise un nombre certain de touristes aux poches pleines (de yens, de dollars, de riyals) qui poussent avec flegme les portes tambour du Ritz, du Meurice, du Bristol ou du Crillon. J’ai beau bougonner sous cape, il faut se faire une raison, nos émoluments mensuels ne pourraient suffire à passer le porche de ces établissements, à moins d’avoir spéculé sur la dette grecque depuis quelque temps.

Mais, c’était sans compter les bons plans des copines (πουλάκι μου,  Ευχαριστώ πολύ !), qui ont l’épatante idée de vous y convier pour un petit déjeuner d’anthologie. On gambade comme une gazelle en recevant l’invitation, on sourit benoîtement et puis on commence à paniquer : « Mais on s’habille comment ? Vais-je faire illusion ? Je vais frôler le ridicule absolu devant des gens qui vont vite me démasquer ».

On se calme, on se détend : on laisse juste tomber la paire de Converses, on assure la veste griffée qui va bien, un joli collier et roulez fillettes, le jour de gloire est arrivé. Cette porte tambour tourne cette fois-ci pour nous (le taux de satisfaction revancharde crève le haut plafond) et… Diantre que c’est beau ! Du marbre partout, des tapis mœlleux, des fleurs à foison et on s’approche du salon de l’Espadon (« RITZement » nôtre) en retenant son souffle. Hé bien, oui, l’ambiance feutrée et le décor imposant vous scient un peu les genoux. Toutefois, l’extrême courtoisie du personnel vous enlève vite l’enclume qui pesait deux tonnes sur vos épaules, on s’assied… et on savoure toute l’aubaine de déguster ici son café du matin.

Quand je dis café… la carte du petit déjeuner ferait saliver tous les gourmands du monde : il y en a pour tous les goûts, toutes les bourses, toutes les envies : viennoiseries célestes, produits laitiers sous toutes ses formes, plats salés de grand qualité (œufs/fromages/saumon/jambon) selon tous les desiderata du client, pain perdu, pancakes, spécialités japonaises… les accessoires de table, en argent bien lourd qui pèsent en main, poseront quelques angoisses : « Mais ça se tourne dans quel sens ? Tu crois que je dois enlever le couvercle ? » … j’avoue, impossible de faire semblant quand on n’appartient pas à un certain milieu. Le personnel charmant, amusé de notre réserve,  et ravi de pouvoir enfin parler sa langue maternelle (aucun Français ce matin-là dans le salon) nous servira avec professionnalisme et amabilité.

Un conseil, dépassez votre appréhension, mettez en sourdine votre timidité, osez rentrer dans ces palaces étoilés cinq fois qui s’ouvrent à tous pour des petits-déjeuners, des brunchs, à l’heure du thé et goûtez pour une heure ou deux ce luxe, ce faste, cette sérénité, que l’on doit quelquefois s’offrir : les grands hôtels qui font rêver nous appartiennent aussi.