Demandez à un parisien de passer le périph’ pour une expo ou un resto et il vous répondra à coup sûr : « heu, faut mon passeport ou ma carte d’identité suffit ? », « je ne sais pas si mes vaccins sont à jour », « tu crois que c’est christianisé, ces contrées-là »… oui la superbe du Lutécien est incommensurable ! Et pourtant, on découvre de bien belles choses, au-delà des portes de la capitale. Les visiteurs étrangers semblent beaucoup moins étroits du bulbe car on croise plus d’Anglais, d’Espagnols et de Russes que de porteurs de passe navigo deux zones, à la station de la ligne 13 « basilique de Saint-Denis ».

Et c’est fort fâcheux. Car quel concentré d’extrait de jus serré d’histoire vous saute au visage sous les hauteurs des voûtes ! Que l’on soit de la génération Rois Maudits ou Game of Thrones, impossible de ne pas basculer dans un autre espace-temps, sitôt la lourde porte refermée. Parce que l’on n’entre pas seulement dans une basilique cathédrale gothique qui en impose, mais dans le sanctuaire de six dynasties royales : si l’on est sacré à Reims, on repose à Saint-Denis pour l’éternité, sous la protection d’un martyr décapité pour sa foi au IIIe siècle. Simple tombe, puis mausolée, antique basilique primitive, monastère, abbatiale carolingienne, elle devient au XIIe grâce à Suger une basilique gothique dressée vers le ciel, dont les souverains lèvent l’oriflamme sacré en temps de guerre. Saint Louis parachèvera la transformation du bâtiment en gothique rayonnant, lors de travaux dantesques et dispendieux, le rendant digne d’une nécropole royale.

  

On peut être républicain convaincu et toutefois ému de déambuler entre les gisants, les urnes funéraires, les tombeaux, les orants de ceux qui ont rempli nos livres d’histoire : ils sont tous là, les bons comme les fielleux, les justes comme les scélérats, les grands hommes comme les déficients. On salue Louis XII et Anne de Bretagne, François Ier, Henri II et Catherine de Médicis, on pense à Jacques de Molay en croisant Philippe le Bel et le Hutin, on est déçu de rencontrer Robert II d’Artois et non son petit-fils, l’écarlate Robert III, on tourne, on vire pour rendre visite à Louis XIV… en vain. Comme Henri IV, Louis XIII, Marie de Médicis, Anne d’Autriche, sa dépouille est passée par la fureur révolutionnaire et a fini de pourrir dans une fosse commune.

Les gisants sont en pierre calcaire, en bois recouvert de cuivre émaillé, en marbre blanc ou noir, tels des corps pétrifiés, muets et froids. Les pieds posés sur un chien, pour les femmes, sur un lion, pour les hommes, en armure ou en simple tunique, le front ceint de leur couronne, ces rois et ces reines ont un visage pour l’éternité, souvent très fin, un peu idéalisé sans doute, mais souvent empreint de quiétude et de douceur. Si les imposants tombeaux à baldaquin, réservés à Louis XII, François Ier et Henri II, très ostentatoires, plus m’as-tu-vu que majestueux m’ont laissée indifférente, la simplicité des statues étendues, la délicatesse de leurs traits, les drapés des vêtements, cette beauté presque dépouillée et ce contact proche, direct, abrupt avec notre histoire m’ont touchée bien plus que je ne l’eûs pensé…