Contrairement à Anvers, Gand est une grande cité au centre historique plus vaste. Il demande une bonne journée de visite, que l’on débute souvent par sa cathédrale, pour éviter la cohue devant le joyau « L’Autel de Gand », retable plus communément appelé « L’Agneau mystique ». La cathédrale Saint-Bavon (Sintbaafskathedraal) ne laisse aucun souvenir impérissable. Il s’agit d’un bâtiment assez sobre de l’extérieur, presque modeste, doté d’une haute tour épaisse au-dessus du portail. Peu d’ornements, de fioritures, d’enjolivements. Construite sur les décombres d’une église romane du XIIe s. dédiée au Baptiste, elle s’agrandit, s’étend, se transforme au fil des siècles, subit les assauts des iconoclastes, les flammes de plusieurs incendies (elle en perd ses vitraux), et enfin, de gros travaux de restaurations.

Elle semble aujourd’hui faite de bric et de broc, sans aucune unité : la crypte est romane, le chœur gothique, la nef et le transept gothique tardif, le maître-autel baroque et la chaire rococo. Elle empile trois matériaux successifs selon les moyens disponibles aux différentes étapes de sa construction, la pierre gris-bleu de Tournai, pierre blanche d’Alost, puis simple brique. Le déambulatoire longe 25 chapelles latérales dont deux méritent attention : la 15ème (à gauche du chœur), dédiée aux Saints Pierre et Paul abrite un Rubens – la seule toile de la cathédrale à avoir de l’intérêt -, qui illustre la conversion du Comte Adlowin, futur Saint Bavon, renonçant à sa vie dissolue (le peintre anversois a d’ailleurs donné ses traits au Saint protecteur de Gand) et la 11ème, qui a renfermé le fameux triptyque avant qu’il ne soit transféré dans la 25ème, mieux adapté à sa conservation.

La seule présence de « L’Agneau mystique » justifie d’une visite à la cathédrale. À la fois pour l’œuvre, unique et honnêtement magnifique, mais aussi pour ses légendes. Le retable à trois volets et vingt quatre panneaux, est une commande de l’échevin Judocus Vyd et de sa femme aux frères Van Eyck, Hubert et Jan (en 1420). Si le second est un peintre attesté, on ne connaît cependant aujourd’hui aucune autre peinture pouvant être attribuée à son frère ainé Hubert. La seule preuve de son existence est une pierre tombale dans la cathédrale, mais rien ne prouve, à l’exception du quatrain figurant sur le cadre du retable, sa paternité d’artiste. À partir de 1794, les Français sont alors maîtres de Gand, le triptyque sera tout à tour, démembré, transféré, vendu, légué au musée de Berlin, redonné aux Belges, caché, enfin reconstitué en 1919 ! Mais en 1934, les deux panneaux du volet inférieur gauche furent dérobés. Contre rançon, le voleur restitua l’un des panneaux, mais l’autre est à ce jour toujours dans la nature. Pour la petite histoire, durant la deuxième guerre mondiale, le retable fut retrouvé par l’armée américaine dans une mine de sel allemande, après que le gouvernement de Vichy, qui avait fait main basse sur le triptyque, l’eut transféré outre-Rhin. C’est un quasi-miracle que le retable soit parvenu jusqu’à nous sans autres dommages.

Il est présenté au public ouvert et l’on tourne autour pour apprécier ses deux faces. Normalement, « l’Agneau mystique » ne se déplie que pour de grandes fêtes religieuses. Fermé, il est austère, et ne présente qu’une Annonciation (l’ange Gabriel est tout de même une splendeur), le portrait des donateurs et deux imitations de sculptures du Baptiste et de l’Évangéliste. Mais de l’autre côté, c’est un festival de couleurs qui vous claque à la rétine ! La peinture religieuse, si elle sert d’abord l’église, a aussi pour but la diffusion et l’adhésion à sa doctrine. Les fidèles doivent comprendre le message, et quoi de mieux qu’un tableau à la fois lisible et magnifique ! En haut, l’humanité (Adam et Ève), Dieu, la Vierge et saint Jean, des anges et en-dessous, l’Agneau, symbole de la rédemption de l’humanité.

Tous les visiteurs restent bouche ouverte devant le triptyque, saisis par la délicatesse des étoffes et des broderies, la précision du pinceau, la finesse de l’exécution, le raffinement des détails, la grâce qui émane du tableau, que l’on soit ou non sensible au sujet. Même si vous devez longuement faire la queue avant d’entrer dans la chapelle, c’est un monument unique de la peinture qu’il ne faut manquer à aucun prétexte.

Pour nous remettre de nos émotions, petite halte devant la cathédrale pour déguster une bonne bière belge, avant de continuer vers la Halle aux Draps, datée du XVe, beau bâtiment gothique, flanqué de la prison et surtout du beffroi ; haut de 91 mètres, symbole du pouvoir civil et de l’autonomie administrative de la cité, il est flanqué à son sommet d’un dragon, gardien des privilèges et des chartes des libertés. On y grimpe en ascenseur, puis à pied depuis l’étage des cloches et de l’imposant bourdon, dont on voit clairement le mécanisme. La vue sur la vieille ville par temps dégagé est remarquable !