Lorsque Charles Quint décide d’étendre ses possessions au Nord de son Empire, ses ambitions sont contrecarrées, entre autres, par le duc de Gueldre, Charles d’Egmont (1467-1538), qui voit d’un très mauvais œil la remise en cause de son indépendance. Il combat avec acharnement la mainmise des Habsbourg sur son duché* et les États gueldrois refusent de se soumettre. Son successeur, Guillaume de Clèves, mènera en 1542, en retour,  une campagne de grande envergure contre l’Empereur du Saint-Empire romain germanique, dans le Brabant, en lançant 15 000 hommes sur Anvers. La ville choisira la tactique de la terre brulée, incendiant tous les bâtiments situés hors les murs, limitant les capacités de retraite des assiégeants. Peu rompues à l’art du siège, les troupes du duché de Gueldre lèveront vite le camp sur un échec cuisant, Anvers ne tombe pas.

Mais le premier béguinage (begijnhof**), érigé en 1240 à l’extérieur de la ville, fera partie des débris calcinés. Les béguines achèteront en 1545 un pré, pour accueillir églises et nouvelles constructions. Il se visite toujours aujourd’hui, un peu à l’écart du centre d’Anvers, mais très facilement accessible en vélo en redescendant du MAS***. Rien à voir, certes, avec celui de Bruges ou d’Amsterdam, mais le béguinage d’Anvers, plus modeste, moins touristique, moins « carte postale » possède une atmosphère bien à lui : petites maisons de briques rouges construites autour d’un jardin, cours intérieures à l’abri de jolies portes, rue pavée, silence et sérénité. On a presque du mal à imaginer que les béguines ont disparu, tant le lieu ne semble pas avoir beaucoup bougé.

 

Le routard termine son descriptif dans le guide, en s’interrogeant sur la dissolution de ces communautés de femmes. Pour ceux qui l’ignorent, cette vie en communauté a longtemps chatouillé le museau de l’Église : imaginez un peu, dès le XIIè siècle, des femmes (pas toujours veuves ou célibataires) décident de vivre regroupées en une communauté laïque, sans règle monastique, sans mère supérieure, sans clôture et sans former de vœux perpétuels. Elles sont libres, indépendantes, autonomes, et ne rendent de compte à personne. Elles travaillent, enseignent, soignent, prient, comme bon leur semble. Les dons affluent très vite, les béguinages sont riches. C’est ce qui gêne d’abord les monastères, qui voient filer sous leur nez des legs qui auraient pu accroître leur patrimoine : ils sont concurrencés par des femmes, qui cultivent émancipation et hardiesse. L’Église apprécie peu que l’on se détache de son autorité et décide de les mettre au pas, dés le début du XIVè. Elles sont soupçonnées d’hérésie, mises à l’index, certaines finissent même sur le bûcher, avec leurs écrits. La charité chrétienne n’est déjà plus ce qu’elle était…

Les béguines disparaissent d’Europe, sauf en Flandres, où une bulle papale les autorise à perpétuer leur manière personnelle de vivre leur foi, sous la condition de se rapprocher de l’église et de faire un peu moins de bruit. La tutelle ecclésiastique masculine vient de tomber, les béguinages ne sont plus que de simples paroisses, qui disparaitront peu à peu, à compter du XIXè, semblables aux autres communautés religieuses.

Quand vous visiterez la prochaine fois un béguinage, ayez une petite pensée pour ces femmes qui, au Moyen Âge, ont ouvert la voie à bien des combats…

 

* En gros, le Nord Est des Pays-Bas actuels

** Le terme est attesté en latin au XIIIè – beguina et adapté du français en néerlandais beggen, réciter des prières d’une façon monotone

*** MAS : Museum aan de Stroom, situé un peu au Nord en suivant l’Escaut