Oscar Wilde, l’autre Prince frivole ?

Oscar Wilde, l’impertinent absolu

Exposition au Petit Palais, jusqu’au 15 janvier 2017

Commissaire de l’exposition : Dominique Morel

 

Seize ans après Londres, qui avait salué le Centenaire de sa disparition, Paris consacre à l’écrivain irlandais (1854-1900) sa toute première exposition, qui retrace le parcours singulier d’un artiste souvent plus connu pour son destin que pour ses livres. Wilde lui-même le reconnaissait sans détour, concédant avoir mis tout son génie dans sa vie et son talent dans son œuvre.

On s’étonne de ce long moratoire, car Paris est pour ce francophone francophile une référence en matière d’art : à compter de 1883, il ne cesse d’y revenir, il y écrit, fréquente les salons, dîne avec Victor Hugo, rend visite à Marcel Proust, choisit comme hôtel celui où Baudelaire écrivit certaines de ses Fleurs du mal, retrouve Verlaine autour d’une absinthe, fréquente Jean Lorrain et Catulle Mendès, Pierre Louÿs et André Gide, et découvre surtout Huysmans, qui aura sur son travail d’écrivain une influence déterminante. Mais sans doute aime-t-il Paris pour cette décadence fin de siècle qui teinte ses rêves esthétiques, et pour la liberté d’être enfin sans entraves celui qu’il était vraiment.

Le Petit Palais a choisi pour cette première parisienne de s’attacher au Wilde impertinent, à travers sept thématiques, éclairées de manuscrits, photographies, dessins, tableaux, documents inédits… (les années de formation, Wilde critique d’art, la conquête de l’Amérique, Paris-Londres, les années créatives, Salomé, la prison et l’exil). L’exposition fait donc la part belle aux extravagances de l’écrivain, à son goût des tenues vestimentaires très étudiées, à ses manies de dandy, ses aphorismes et paradoxes, cette impertinence qui vire souvent à l’arrogance.

L’exposition s’ouvre sur le portrait du Saint Sébastien de Guido Reni, qui fut pour Wilde, à Gênes, une révélation, à bien des égards… on se dit que cela commence bien. On s’interroge en revanche sur l’intérêt de la seconde section, consacrée à l’exposition inaugurale de la Grosvenor Gallery, destinée à promouvoir les artistes de l’Aesthetic Movement face au conservatisme de la Royal Academy. Wilde en fit un compte rendu bien sûr partisan, pétri de commentaires assassins ou éblouis. Mais ces toiles et les bavardages wildiens m’ont semblé plus anecdotiques qu’autre chose. A contrario, la salle consacrée à Salomé est une vraie réussite. Pour la première fois, Wilde va se heurter à la censure de son pays, que l’érotisme de la pièce scandalise, « miracle d’impudence… pièce écrite en un français mi-biblique et mi-pornographique. » Si le texte heurte les bien-pensants, que dire alors des superbes dessins de Beardsley qui illustrent le texte, audacieux, limpides, et novateurs.

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L’exposition ne s’attarde ni sur le procès, ni sur l’incarcération, pas plus que sur les dernières années de la vie de Wilde, tombé dans la misère la plus crasse à Paris (une seule section pour de tels événements !!!). Elle gomme aussi sa part d’ombre (la syphilis, ses fréquentations de prostitués mineurs, ses propos parfois épouvantablement misogynes, son narcissisme) et préfère présenter un esthète spirituel et pétillant. Cependant, je suis loin d’être persuadée que cette présentation d’un Wilde léger, voire superficiel, soit la meilleure manière de lui rendre hommage. Ce focus très appuyé sur les années de splendeur, de flamboyance, de désinvolture et d’auto-célébration, oublie le sort tragique de l’écrivain. Car que reste-t-il aujourd’hui de l’œuvre de Wilde ? Trois, quatre pièces de théâtre, son unique roman Dorian Gray, la Ballade de la geôle de Reading et la longue lettre à Alfred Douglas, De Profundis. Ces deux derniers textes, les plus forts, les plus aboutis, les plus sincères, sont le fruit de ce procès fou qu’il intentât inconsidérément au père d’Alfred Douglas, de sa déchéance, de sa ruine.

Ce qu’il me semble de plus fascinant dans la destinée de Wilde, c’est cette incroyable intuition de la chute à venir. Son petit-fils, Merlin Holland, écrit dans la préface aux actes du procès contre le marquis de Queensberry :  » ce fut le tragique accomplissement d’un souhait émis un jour à l’école selon lequel Wilde n’aurait rien tant voulu être dans une vie posthume que le héros d’une cause célèbre et accéder à la postérité comme défenseur dans une affaire Regina versus Wilde. » Âgé d’à peine quinze ans, il se voit déjà accusé d’un procès de légende, qui l’oppose à toute la bonne société victorienne. Dans une lettre rédigée en prison, Wilde avoue « Pourquoi chacun court-il à sa ruine ? Pourquoi la destruction exerce-t-elle cette fascination ? Pourquoi, lorsque l’on se tient sur son Pinacle, doit-on se jeter en bas ? … Je suis fait pour la destruction. Dans mon berceau, ce sont les Parques qui m’ont bercé. Dans la fange, seulement, je peux trouver la paix. »

PS : Je me permettrais de recommander le passionnant « Oscar Wilde, splendeur et misère d’un dandy« , de Daniel Salvatore Schiffer, aux éditions de la Martinière (2014). Oserais-je dire qu’on y apprend plus de choses qu’à l’expo ? Hé bien, oui !

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